Quel avion pour de Gaulle en juin 1940 ?

Ce billet était oublié depuis un an dans mes brouillons. Je le publie finalement. Il pourra intéresser les amateurs de précision historique. Un peu intrigué par certains détails du docu-fiction de France 2, « L’appel du 18 juin », diffusé le 8 juin 2010, et m’interrogeant soudain sur l’apparente facilité des liaisons aériennes entre l’Angleterre et la France malgré l’avance allemande, j’avais voulu en savoir un peu plus sur les moyens de transport utilisés par de Gaulle qui s’est rendu trois fois à Londres en juin 1940 (alors que Churchill, de son côté, vient en France le 31 mai, le 11 juin et le 13 juin).

Le 9 juin, donc, de Gaulle est envoyé en Angleterre par Paul Reynaud pour y rencontrer Churchill. Il est de retour à Paris le lendemain. Mais je n’ai pas réussi à trouver sur quel type d’avion s’est effectué le voyage. Le 14 juin au soir, c’est en automobile que de Gaulle quitte Bordeaux. Il est à Rennes le matin du 15 juin, où il voit le général Altmayer, le général Guitry, commandant la Région militaire, et le préfet d’Ille-et-Vilaine. « Je m’efforçai, écrit-il, d’organiser la coordination de leurs efforts et de leurs moyens pour la défense du terrain » (Mémoires de guerre. L’Appel, chap. 2). Puis il gagne Brest où il étudie « avec l’amiral Traub et « l’Amiral-Ouest » de Laborde les possibilités et les besoins de la marine quant à l’embarquement des troupes dans les ports de Bretagne ». L’après-midi, il monte à bord du contre-torpilleur Milan qui le conduit à Plymouth d’où il se rend à Londres, où il arrive le 16 à l’aube.

Contre-torpilleur Milan

Contre-torpilleur Milan de la classe Aigle

Il n’y a pas de grand mystère ici quant aux moyens de transport utilisés (contrairement au docu-fiction de France 2 qui m’a surpris une première fois sur ce point, les Mémoires ne disent rien d’obstacles à disposer d’un avion qui auraient obligé de Gaulle à se rendre à Brest en voiture).

Le 16 juin dans l’après-midi, le Cabinet britannique accepte le projet d’union de la France et de l’Angleterre préparé par Corbin, Monet et le secrétaire permanent du Foreign Office. La décision est communiquée par téléphone au Président du Conseil, Paul Reynaud. Il est prévu que Churchill rencontre ce dernier le lendemain à Concarneau où il se rendrait à bord d’un destroyer (il n’aura pas à le faire). Quant à de Gaulle, Churchill lui prête un avion pour retourner immédiatement à Bordeaux. Il y atterrit selon les Mémoires à 21h30 pour y apprendre que Paul Reynaud avait, dans l’intervalle, donné sa démission et que « le président Lebrun avait chargé le maréchal Pétain de former le gouvernement ». Comprenant alors que la capitulation est certaine, de Gaulle décide aussitôt de partir de nouveau pour Londres dès le lendemain matin. Il s’envole le 17 à 9 h, accompagné cette fois du général Spears « sur l’avion britannique qui [l]’avait transporté la veille » (Mémoires de guerre. L’appel, chap. 2). « Le départ, précise-t-il, eut lieu sans romantisme et sans difficulté » (le docu-fiction de France 2 quant à lui laisse croire que de Gaulle a dû tromper les gendarmes de l’aéroport pour pouvoir embarquer ; dans une lettre à Churchill du 3 novembre 1948 de Gaulle écrit : « Nous sommes partis vers 9 heures en prenant quelques précautions mais sans difficultés.»). Enfin, de Gaulle précise dans les Mémoires que l’avion survola La Rochelle et Rochefort, puis Paimpont, où se trouvait la mère du général, « très malade », fit une escale à Jersey et arriva à Londres en début d’après-midi. Il n’est fait aucune mention d’une attaque en cours de trajet par un chasseur allemand, rajoutée — c’est la partie fiction du documentaire — par le réalisateur pour France 2.

Mais il demeurait un certain mystère sur le type d’appareil prêté à de Gaulle le 16 juin par Churchill. J’ai voulu en savoir un peu plus. Les Mémoires n’en disent rien. Le docu-fiction de France 2 nous montre un Beechcraft 18 (copies d’écran de la bande-annonce) :

(l’appareil utilisé pour le tournage est très vraisemblablement celui de la Ferté-Allais que l’on peut voir ici).

Mais c’est une inexactitude historique : cet appareil américain ne fait pas partie de ceux dont a disposé Churchill. Il semblait admis pendant longtemps que l’avion était un De Havilland DH.89 Dragon Rapide. Mais c’est aussi une erreur. Une recherche sur le net permet de découvrir qu’un passionné des Ailes anciennes du Bourget, Jean Veillon, a mené une enquête, dont il a rendu compte en 2005 dans une brochure intitulée L’avion anglais du Général de Gaulle, qui montre que l’avion était en réalité un De Havilland DH.95 Flamingo1. Le Flamingo présente bien un double empennage, comme le Beechcraft, mais avec ailes hautes ; comme il ne reste plus aucun exemplaire du Flamingo, le choix du Beechcraft pour le tournage était malgré tout plus proche de la réalité que le choix d’un Dragon Rapide.

  1. C’est, semble-t-il, sur le même avion, escorté par des Hurricanes, que Churchill se rendait en France pour les rencontres du Supreme War Council. []
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