La corneille et la cruche

La fable d’Ésope, La Corneille et la cruche, est fréquemment citée dans les publications sur l’intelligence des animaux.

La Corneille ayant soif, trouva par hasard une Cruche où il y avait un peu d’eau ; mais comme la Cruche était trop profonde, elle n’y pouvait atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d’abord de rompre la Cruche avec son bec ; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’avisa d’y jeter plusieurs petits cailloux, qui firent monter l’eau jusqu’au bord de la Cruche. Alors elle but tout à son aise. (source)

Frans de Waal, par exemple, rappelle dans son dernier livre (Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?) que la capacité des corvidés à réaliser ce que fait la corneille de la fable (jeter des pierres dans un tube plein d’eau pour que la nourriture qui flotte à la surface de l’eau monte jusqu’à être à portée de son bec) a été démontrée de façon expérimentale à plusieurs reprises (Bird et Emery, 2009, Taylor et Gray, 2009, Jelbert et al., 2014).

Mais les amateurs d’humanités, qui veulent retrouver le texte grec de la fable, doivent chercher un peu. C’est la version anglaise de Wikipedia qui donne quelques indications sur la façon dont la fable est parvenue jusqu’à nous. Pour l’instant, le seul texte grec que j’ai trouvé, via une note de cet article de Wikipedia, est celui de Bianor dans le troisième volume de l’Anthologie grecque1 avec traduction en anglais de W.R. Paton. Il fait intervenir le dieu Phœbus (Apollon) pour donner à la corneille l’idée d’utiliser des cailloux (je me risque à un mot-à-mot interlinéaire, pour lequel je suis preneur de corrections) :

Καρφαλέος δίψει Φοίβου λάτρις εὖτε γυναικὸς
Altéré par la soif, de Phœbus le serviteur, lorsque d’une femme
εἶδεν ὑπὲρ τύμβου κρωσσίον ὀμβροδόκον,
il vit sur la tombe une cruche contenant-de-l’eau-de-pluie,
κλάγξεν ὑπὲρ χείλους, ἀλλ’ οὐ γένυς ἥπτετο βυσσοῦ.
il cria au-dessus de l’orifice, mais (son) bec n’atteignait pas le fond.
Φοῖβε, σὺ δ’ εἰς τέχνην ὄρνιν ἐκαιρομάνεις·
Phœbus, (c’est) toi (qui) vers le moyen l’oiseau inspirais
Χερμάδα δὲ †ψαλμῶν σφαῖρον πότον ἅρπαγι χείλει
Des cailloux [l’obèle (†) indique un passage altéré] sphérique boisson (?) avec sa rapace lèvre2
ἔφθανε μαιμάσσων λαοτίνακτον ὕδωρ.
il atteignait, désirant vivement, l’eau ébranlée/mise en mouvement (par les pierres).

Phœbus en revanche est absent dans la version latine d’Avianus:

Ingentem sitiens cornix adspexerat urnam,
Quae minimam fundo continuisset aquam.
Hanc enisa diu planis effundere campis,
Scilicet ut nimiam pelleret inde sitim,
Postquam nulla viam virtus dedit, ammovet omnes
Indignata nova calliditate dolos.
Nam brevis immersis accrescens sponte lapillis
Potandi facilem praebuit unda viam.
Viribus haec docuit quam sit prudentia maior,
Qua coeptum volucri explicuisset opus.

  1. Voir son histoire ici. []
  2. W. R. Paton précise en note que bien qu’une partie de cette ligne soit définitivement perdue, son sens est clair car l’anecdote est rapportée également par Pline [de fait: Histoire naturelle. Livre X. Chap. LX] et Plutarque [de même : Œuvres morales, Les animaux de terre ont-ils plus d’adresse que ceux de mer ? 967a] []
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