Reconstruire Notre-Dame: donner ou pas ?

L’émotion aidant j’étais prêt aussi à donner pour Notre-Dame mais quand j’entends «plus belle qu’avant», «enjeux de notre époque» : méfiance. L’époque s’y connaît en escroqueries artistiques, bien incapables de traverser les siècles, mais avec des tonnes de baratin. Je ne vais pas jusqu’à croire qu’ils seront capables de surmonter Notre-Dame d’une baudruche1, mais ce qui est certain c’est que les cathédrales gothiques n’étaient pas construites dans l’esprit d’aujourd’hui. Il y avait certes des points communs. Elles coûtaient déjà un «pognon de dingue» et témoignent de ce point de vue de l’essor économique et urbain des XIIe et XIIIe siècles. Elles témoignent aussi d’une lutte de prestige entre les villes et les évêchés, d’où la course aux records de hauteur, que l’on trouve aujourd’hui avec les gratte-ciels (cf. la tour Gazprom de Saint-Pétersbourg, désormais la plus haute d’Europe). Mais elles n’en étaient pas moins des œuvres de foi, inséparables de la spiritualité, d’où, comme le rappelait Jacques Le Goff, l’importance de la lumière («Dieu est lumière») et la consécration à Notre-Dame avec le développement médiéval du culte marial. Sociologiquement, l’art y était celui des artisans regroupés en communautés de métier, que perpétuent aujourd’hui les compagnons du devoir. Pas celui de l’ego de «plasticiens» ou de starchitectes. On n’avait pas encore inventé l’art pour l’art, encore moins l’art comme spirale de transgression au service de la table rase, qui, selon Sloterdijk, remonte à Hugo Ball et à Dada. D’ailleurs, l’avenir comprendra peut-être au sujet de notre époque qu’un multicoque de classe Ultime ou un avion Airbus ou Rafale sont bien plus artistiques (dans tous les sens du mot) que telle baudruche de la FIAC.

Donc acte. Notre-Dame – et c’est très bien – ne manquera pas de donateurs. Parmi les grandes fortunes, les Brétilliens ont été les premiers à donner l’exemple et il faut s’en réjouir (clic). On attend les Finistériens (clac). Mais il y a tout un patrimoine religieux et civil rien qu’ici en Bretagne (et ailleurs) dont les conservateurs manquent d’argent. On peut aussi donner au Conservatoire du littoral ou à Bretagne Vivante pour préserver des espaces et des espèces qui ne se refont pas en verre ou en plastique. Des arbres, gwez, pas des «Tree» !

PS. Pour une réflexion sociologique sur le patrimoine, voir le dernier numéro de la revue Tétralogiques, mis en ligne début avril.

  1. Ils pourraient bien cependant en faire une attraction dans le style EuropaCity, énième avatar du palais de cristal dont parlait Dostoïevski (Journal d’un écrivain, juillet-août 1876, chap. IV, IV.). []
Ce contenu a été publié dans Opinion, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.