Présentiel

Je reproduis ci-dessous, en le développant légèrement, un commentaire que j’ai posté sur l’excellent blog Gaïa Universitas :

À entendre et voir fonctionner (surtout) nombre de mes collègues, j’en retire l’impression que pour la plus grande partie d’entre eux, l’essence même de l’université, c’est le trio cours en amphi (bondés) – bachotage – examen terminal (dans les mêmes amphis, forcément bondés)1. J’en viens à me demander à quoi sert une telle concentration de bac + 8 minimum si c’est pour être incapable d’inventer autre chose que ce modèle qui date de plusieurs décennies (voir déjà ce qu’écrivait Raymond Aron à ce sujet en… juillet 1968). La crise sanitaire, qui nous a obligés à improviser dans l’urgence quelques solutions « distancielles », aurait dû être mise à profit pour concevoir l’université de demain, qui à mon avis sera nécessairement hybride. Mais il n’en a rien été, à quelques rares exceptions près. Depuis septembre dernier, le seul mot d’ordre, pour les enseignements comme pour les réunions, c’est « présentiel, présentiel, présentiel, présentiel ! ». Un minimum d’observation permet pourtant de constater qu’il est possible d’être physiquement « présent » (dans un amphi par exemple) tout en étant socialement et mentalement « distant » : parce qu’il existe une distance sociale entre profs et étudiants, ou parce que le cours est soporifique, ou encore que le wifi invite à la distraction en permettant de se connecter à Netflix – chez nous ce n’est plus possible car la DSI avait repéré que ça occupait 15 % de la bande passante et en a bloqué l’accès via le wifi du campus en septembre 2020 (clic), mais c’est bien la preuve que ça servait aussi à cela. Mais j’ai aussi des témoignages crédibles, datant d’avant la crise sanitaire, au sujet d’étudiants de STAPS matant du porno pendant les cours (la collègue qui me rapportait cette histoire avait quand même exigé qu’ils coupent le son) ou d’étudiants en histoire jouant entre eux à des jeux en ligne, en TD, pendant que leurs camarades ânonnaient leurs exposés…

Et la liste des causes possibles de « distance » mentale ou sociale n’est pas close. Il y a toujours eu des élèves, de toute façon, qui étaient bien présents en classe, physiquement, mais pour y rêvasser en regardant par la fenêtre (j’en ai fait partie, moins en primaire qu’au collège et au lycée)2. Le retour d’expérience (RETEX) de la période mars 2020-juin 2021 montre en revanche qu’il a été possible de créer des enseignements en distanciel physique qui accroissaient la présence mentale via différentes formes d’interactivité. Mais évidemment, il y avait aussi le contre-exemple du monologue professoral de deux heures en synchrone devant un écran Zoom, avec des étudiants dont l’ordinateur pouvait certes être connecté sans que rien ne garantît qu’ils l’étaient eux aussi, soit la reproduction, en pire, du CM en amphi. Bref l’opposition distanciel/présentiel ne peut évidemment pas être réduite à une question de distance/présence physique dans les locaux. La présence de l’individu ou du sujet, dans le jargon de la théorie de la médiation, n’est pas celle de la personne (clic). De mon point de vue, le temps de présence physique devrait être réservé en priorité à tout ce qui permet une réelle présence active avec TD, exercices, classes inversée, etc. Si c’est pour se contenter de faire perdurer le modèle amphi-bachotage-examen terminal3, à mon avis c’est peine perdue. Mais il est vrai que c’est aussi probablement ce qui coûte le moins cher.

PS. En attendant, la ministre a annoncé hier, 29 décembre, que les examens terminaux de janvier seront maintenus en présentiel malgré Omicron. Je veux bien. Pour mes quatre heures de surveillance (2 x 200 étudiants) des examens des collègues, le lundi 3 janvier, jour de la rentrée, je pense que ça passera à peu près. Mais il faut craindre un accroissement du taux d’absentéisme (cas positifs ou contact) dès les jours suivants, d’autant que les recommandations en matière d’aération des locaux, bien qu’efficaces et très peu coûteuses, n’ont jamais été vraiment prises au sérieux ni appliquées. Pour imposer le masque en extérieur en revanche, il y a du monde… Bloavezh mat deoc’h ha yec’hed mat dreist-holl. «Bonne année à vous et surtout bonne santé ».

  1. C’est vrai aussi des journalistes généralistes qui illustrent très souvent leurs articles sur l’université par une photographie représentant un amphi bondé. []
  2. La « petite école du renard » (skolig al louarn) comme on dit en breton pour désigner l’école buissonnière n’est pas forcément la moins formatrice. []
  3. Élu pendant trois mandats à la CEVU puis CFVU, j’ai pu mesurer les résistances au remplacement, que nous encouragions, de l’examen terminal par le contrôle continu. Pour ma part, j’ai joué le jeu et je ne pratique plus depuis des années, bien avant la crise sanitaire, que le contrôle continu ou différentes formes de « devoir maison » (avec un peu de réflexion, il est tout à fait possible d’en concevoir qui n’encouragent pas la fraude). Et je ne reviendrais pas en arrière. []
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Une réponse à Présentiel

  1. Marcel P dit :

    Vu de loin : cocasse.
    L’université ne donnant pas de diplôme professionnalisant, ceux qui n’en font rien n’en feront rien, si on peut dire.

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