Pédophilie et génétique : note méthodologique

La distinction nature/culture étant au centre de mon travail d’anthropologue, je ne peux résister à la tentation d’apporter une contribution au débat qui a suivi la prise de position de Nicolas Sarkozy, dans Philosophie magazine, sur le fait qu’on naît pédophile ou que l’on est génétiquement prédisposé au suicide. Grosso modo, le débat oppose les partisans de l’inné à ceux de l’acquis (ou des «circonstances» selon le mot utilisé par Michel Onfray). Pour bâtir ma réflexion, je partirai du seul cas de la pédophilie, laissant celui du suicide pour un autre billet éventuel (bien que la question soit au coeur de la réflexion sociologique depuis le célèbre ouvrage de Durkheim, publié en 1897). Je précise aussi qu’il ne s’agira ici que d’une note méthodologique posant quelques jalons et hypothèses pour une réflexion plus approfondie. Je ne prétends en aucun cas « faire le tour de la question », encore moins y répondre définitivement. Comme d’habitude, ma réflexion s’inspirera de l’anthropologie clinique (ou théorie de la médiation) promue par l’Ecole de Rennes, sur laquelle Philosophie magazine a d’ailleurs publié un article dans son n°3. Comme d’habitude enfin, et contrairement à un usage répandu sur les blogs, je me réserve le droit de retoucher ce billet, pour préciser ma pensée, développer tel ou tel point…

La première chose est de savoir de quoi l’on parle. Il s’agit donc de cerner ce que l’on entend par pédophilie (ce que ne fait pas l’éconoclaste).
Or ce que l’on appelle couramment pédophilie n’est ni homogène, ni autonome.
Au sens courant, la pédophilie désigne l’attirance sexuelle d’un adulte ou d’un adolescent envers les enfants.

Mais d’un point de vue juridique, il n’existe en droit français aucune définition de la pédophilie en tant que telle. Le terme pédophilie n’apparaît pas dans les textes. Le code pénal sanctionne la corruption de mineurs (art. L 227-22), le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique (art. L 227-23), le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur (art. L 227-24), le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans (art. L 227-25 à L. 227-27), ainsi que le viol (art. L 222-23 à L 222-26) et les agressions sexuelles (art. L 222-27 à L 222-31). Dans ces deux derniers cas, le fait que la victime soit un mineur de moins de 15 ans constitue une circonstance aggravante (art. L. 222-24 et L 222-29).
Le droit français se base donc sur les notions de majorité et de minorité, en distinguant majorité civile et majorité sexuelle. Une relation sexuelle non consentie avec un mineur de moins de 15 ans sera punie comme agression sexuelle avec circonstances aggravantes. Une relation consentie avec un mineur du même âge sera punie comme atteinte sexuelle, sachant que les tribunaux ne reconnaissent pas la possibilité d’un consentement avant l’âge de 12-13 ans. Par contre, une relation sexuelle consentie entre un mineur civil de plus de 15 ans et un majeur civil ne sera pas sanctionnée par la loi, sauf si le majeur civil est un ascendant ou toute personne ayant autorité par nature ou par sa fonction (à moins qu’il y ait eu émancipation par le mariage du mineur de plus de 15 ans). Le droit français actuel fixe donc la majorité sexuelle à 15 ans (depuis 1945). Pourquoi 15 ans et non pas 16 comme en Suisse ou 13 comme dans la France d’avant 1945 (ou même 11 comme entre 1832 et 1863) ? On voit d’emblée que le seuil est arbitraire. Il n’y a pas d’autre réponse que celle de l’arbitrage politique. L’observation de la situation mondiale confirme cet arbitraire puisque l’on constate que la majorité sexuelle est comprise entre 9 ans et 21 ans selon les pays (12 ans par exemple en Espagne).
Bref, si une relation sexuelle même consentie entre un adulte de plus de 18 ans et une adolescente de 13 ans est sanctionnée pénalement en France en tant qu’atteinte sexuelle (et pourra être qualifiée couramment de relation pédophile), ce n’est pas le cas en Espagne. Les différences ici sont purement politiques et culturelles. Aucun déterminisme génétique ne peut être évoqué.

Regardons maintenant du côté de la psychiatrie. Le DSM IV classe la pédophilie parmi les « paraphilies » dans la section « Troubles sexuels et troubles de l’identité sexuelle » (tout comme le fut l’homosexualité jusqu’en 1973). Mais l’attirance sexuelle envers les enfants, se traduisant ou non par des passages à l’acte, ne constitue en réalité qu’un symptôme, qui peut entrer dans la constitution de différents syndromes (et encore, pas sytématiquement : un névrosé n’a pas nécessairement de fantasmes « pédophiles », le contenu fantasmatique étant largement contingent, lié à l’environnement social et à l’histoire des patients). L’article pédophilie de l’encyclopédie Wikipédia le montre assez bien (avec toutefois une nosographie psychiatrique différente de celle de l’anthropologie clinique). Je ne m’attarderai donc pas là-dessus, sinon pour dire que la nosographie médiationniste tendrait à distinguer (il s’agit là d’hypothèses, ouvrant un énorme chantier) :

  • des scénarios pervers,
  • des scénarios psychotiques (scénarios de violence : le sadisme de Marc Dutroux par exemple),
  • des fantasmes ou passages à l’acte névrotiques,
  • voire des addictions psychopatiques (à la pornographie par exemple, cf. témoignages sur le site orroz).

Il n’y a en tous cas ni identité ni unité de la pédophilie comme syndrome autonome ayant sa propre cause. On ne saurait donc imaginer une causalité génétique de la pédophilie en tant que telle. Rien n’interdit de faire l’hypothèse qu’il existe des facteurs ou des prédispositions génétiques des perversions, des psychoses, des névroses ou des psychopathies (l’existence de tels facteurs est même vraisemblable, dans certains cas au moins). Mais imaginer que l’on puisse identifier les facteurs génétiques de la pédophilie en tant que telle (comme certains voudraient trouver les facteurs génétiques de l’homosexualité en tant que telle) est extrêmement simplificateur pour ne pas dire naïf.
Enfin, on ne saurait confondre l’origine (la genèse) du trouble et son explication. Un même trouble peut avoir différentes origines (on peut avoir une lésion cérébrale à la suite d’une rupture d’anévrisme comme à la suite d’un accident de la route). Dans bien des cas, il faut d’ailleurs une collusion de facteurs pour que le trouble apparaisse : la manifestation du diabète semble combiner prédisposition génétique et facteurs environnementaux (le régime alimentaire). Mais la genèse n’explique pas le trouble : savoir que tel patient cérébrolésé a été victime d’une rupture d’anévrisme ou savoir qu’il a eu un accident de la route ne nous dit rien sur ce qu’est, par exemple, l’aphasie qui résulte de sa lésion. De même, l’identification d’une prédisposition génétique à la schizophrénie ne nous dit pas grand chose sur ce qu’est la schizophrénie…

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2 réponses à Pédophilie et génétique : note méthodologique

  1. le passant dit :

    Sur la distinction entre scénario pervers et scénario psychotique, voir l’article "je te tiens, tu me tiens.."de Hubert Guyard et de son équipe hospitalière dans le tétralogique n°12 (paternité et langage). Il montre bien, à travers deux cas notamment comment des symptômes pédophiles peuvent s’insérer dans des tableaux cliniques différents dénotant soit un trouble de l’instituant (don-juanisme), soit un trouble de l’institué (sadime)l’institué

  2. jean-michel dit :

    Exact, et j’en profite pour faire de la pub pour cette excellente revue de sciences humaines qu’est Tétralogiques :

    http://www.uhb.fr/sc_humaines/li...

    … pour dire aussi qu’il manque un point important dans ma note : celui sur le concept d’enfant. Car on ne peut parler de « pédophilie » sans définir à un moment ce qu’est le ????. Le jeune pubère, qui a de surcroît accédé à la personne, ce n’est pas l’enfant de moins de 7 ans (grec ???????), d’où la discussion sur la question de la majorité sexuelle. En attendant, sur l’enfant, voir ici, une conférence de Jean-Claude Quentel.

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