Blow, till you burst thy wind…

Cela fait un moment que je m’intéresse à l’environnement comme à un des paramètres de la convention en m’inspirant du schéma que Jean Gagnepain reprenait lui-même, en le retravaillant, à Bülher et Jakobson. Définie comme faisceau de relations, la personne (ego), épicène et dépourvue de toute essence, est en lien tant avec le moi (je) qui l’assume qu’avec le toi (tu) à qui elle l’impute, sans oublier le tiers (il/elle) « à qui de concert nous l’attribuons », ni la situation qui fait le fond de l’échange (on, ça, le « il » de « il pleut »…).
C’est par ce biais que l’anthropologie clinique peut retrouver ce que disent tant Bruno Latour sur la composition d’un monde commun incluant humains et non humains que Philippe Descola sur les différents schèmes d’identification des existants.
La première tempête de l’hiver qui a abordé nos côtes ce week-end apporte en tous cas une preuve empirique supplémentaire du fait que les humains, malgré le grand partage qui a marqué l’entrée dans la cosmologie naturaliste séparant le monde des hommes (la culture) et le monde naturel (la nature), restent attachés aux météores. La presse régionale, non sans une certaine exagération, annonçait samedi à la une des vagues géantes abordant les côtes de Bretagne le lendemain. C’était sans doute confondre la hauteur de la houle au large et celle des déferlantes sur le rivage. Mais voilà en tous cas des êtres aussi inquiétants qu’attirants qui s’invitaient pour le week-end.
Ce dimanche, alors que la une annonçait un « avis de tempête » sur la Bretagne, un article en pages intérieures du Télégramme précisait ce à quoi l’on pouvait s’attendre :

Tempête. L’Ouest aux premières loges
La Bretagne se préparait , hier, à l’arrivée de sa première grosse tempête hivernale qui devrait se déchaîner ce matin, vers 8 h, avec des vents soufflant jusqu’à 140 km/h sur les côtes du Nord-Finistère et des vagues pouvant atteindre 15 mètres de hauteur. Un phénomène impressionnant mais « classique », selon Météo-France, qui appelle cependant à la prudence.
« Aujourd’hui , la hauteur des vagues (différence entre le creux et la crête) pourrait atteindre 10 m à la côte et certainement 15 m à l’entrée de la Manche , avec des rafales dépassant les 100 km/h un peu partout », explique André Le Moal, prévisionniste marine au centre Météo-France de Brest-Guipavas (29) . Une tempête de force 10 comme celle qui est attendue, est « classique en hiver », selon lui. « En 1987, il y a eu tempête avec force 12, pareil en 1969, précise-t-il. C’est sur la pointe bretonne que le vent soufflera le plus fort ». (…)

La parole était donnée à Charles Claden, capitaine de l’Abeille Bourbon, l’un des rares capitaines de navire dont le nom est connu du grand public, grâce notamment au très beau livre de Hervé Hamon.

L’Abeille Bourbon prête à intervenir
« Ça a soufflé toute la semaine, la dépression court depuis Terre-Neuve, c’est donc normal que de fortes vagues arrivent, c’est un phénomène régulier », a expliqué Charles Claden, commandant du remorqueur de haute mer Abeille Bourbon, affrété par la Marine nationale. Depuis le début des vents forts, le remorqueur s’est positionné près du rail d’Ouessant pour pouvoir venir en aide à tout navire en difficulté. Un autre bâtiment, l’Argonaute, est également positionné entre Brest et Le Conquet (29), dans le cadre de la protection du littoral assurée par la Marine nationale. Dans les ports de pêche du Finistère, la plupart des bateaux côtiers ne sont pas sortis hier. Les bateaux en mer, notamment ceux pêchant dans la zone Sud-Irlande, se sont déjà mis à l’abri dans des ports britanniques ou irlandais, selon Philippe Le Moigne, marin pêcheur au Guilvinec (29).

Le même article nous apprenait d’ailleurs que l’Abeille Bourbon avait dû appareiller samedi soir de son mouillage du Stiff, à Ouessant, pour venir en aide à un cargo de 145 mètres battant pavillon maltais en panne de radar et de gouvernail dans le rail d’Ouessant. Et le journal poursuivait :

Liaisons maritimes perturbées
La compagnie maritime Brittany Ferries a annulé jusqu’à aujourd’hui sa liaison Cherbourg-Poole, et hier, la liaison Roscoff-Plymouth. Les liaisons maritimes avec les îles de Molène, Ouessant et Sein , assurées quotidiennement par la Pen ar Bed (29), devraient être annulées aujourd’hui. Les situations de tempête font l’objet de bulletins d’alerte météo spéciaux, diffusés à intervalles réguliers à tous les navires et pendant toute la durée du phénomène, a rappelé la préfecture maritime de Brest.
Appel à la prudence
Ces tempêtes attirent traditionnellement de nombreux curieux et photographes amateurs, fascinés par un spectacle naturel grandiose. La préfecture recommande donc d’éviter les promenades sur le littoral et en forêt (chute de branches) et tout déplacement non nécessaire. La sécurité routière a d’ailleurs également invité les automobilistes à éviter les axes situés en toute bordure de mer et demandé aux piétons d’être vigilants sur les plages et les chemins côtiers. (…)

Malgré cet avertissement préfectoral, il y avait effectivement foule en fin d’après-midi, à l’heure de la pleine mer, pour admirer le spectacle d’une mer déchaînée. C’est ainsi. Et l’on repense aux mots de Xavier Grall dans l’un de ses billets du Monde (repris dans Et parlez moi de la terre, chez l’éditeur quimpérois Calligrammes) :

Les voici donc revenus, les vents. Depuis quinze jours, ils rôdaient, sans plus, indécis, mollissant à la morte-eau. Fini… En vingt-quatre heures, ils ont rassemblé leur force et glapi leur puissance sur le Finistère. Et, de leur mufle sauvage et froid, bousculé les digues.
S’il vous plaît, les vents, pour nos marins, pitié !
Souffles superbes ! Quand la météo annonce les tempêtes, je ne sais pourquoi les citadins se calfeutrent dans leurs villes. C’est alors que la Bretagne connaît ses plus beaux jours et c’est alors qu’il faudrait y venir. Pour admirer ce bouleversement inouï, entendre le rire aigre de mille fifres à la bouche des rocs et la musique sourde des millions de tambours aux portes des havres.

Comme en ces jours déjà lointains où Grall écrivait de Botzulan, les vents aujourd’hui venaient du noroît. Et demain, à la une de la presse régionale, on retrouvera cette information que les sites internet ont déjà diffusée : un marin, tombé d’un navire de commerce, est porté disparu. On les oublie trop souvent, ces hommes qui risquent leur peau sur les mers pour que les marchandises, venant du monde entier, soient disponibles dans les points de vente. S’il vous plaît, les vents, pour nos marins, pitié !

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4 réponses à Blow, till you burst thy wind…

  1. le passant dit :

    Les billets de Xavier Grall paraissaient, il me semble, dans « la vie » et pas dans « le monde ». Grall ayant été comme Jean Gagnepain un catholique fervent. Jamais le style de Grall n’est aussi magnifique que dans cette prose chroniqueuse (j’y inclus « le cheval couché » si on arrive à faire abstraction de son intégrisme patriotique). Beaucoup plus je trouve que dans ses poèmes.

  2. Jean-Michel dit :

    Il y a eu les deux (La vie et Le monde). Je ne sais plus dans quel ordre.

  3. Eugène dit :

    Latour? oui bien sûr, mais il n’éclaire pas la relation du sociologique avec l’axiologique, de l’ethnico-politique avec l’éthico-moral; que ce soit ds « politique de la nature » ou ds « la fabrique du droit », en tout cas pour l’instant il ne me fait pas avancer d’un pouce.

  4. Jean-Michel dit :

    Pour la relation socio/axio Latour n’est pas d’un grand secours c’est sûr. Il y a bien la notion d’attachement (comme et surtout chez Antoine Hennion) mais c’est une de leurs limites: parler d’attachement de façon trop générale. Or, mais encore faut-il le montrer, l’attachement (par exemple) à la voiture comporte plusieurs dimensions : je peux être attaché à telle marque (BMW…) parce que ça me classe socialement, mais c’est aussi parce que j’y attache de la valeur. Mais l’exemple montre bien qu’au niveau de la performance il n’est pas facile de dissocier ce qui relève de la distinction sociale et ce qui relève du plaisir ou de la valorisation. Freud lui-même s’y était pris les pieds…

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