Avec une minute de soleil en plus depuis le solstice d’hiver, nous restons bien évidemment dans la période des nuits les plus longues et les conditions anticycloniques établies sur la France depuis une semaine sont propices à l’observation du ciel nocturne : Vénus est bien visible en début de nuit, au sud-ouest, quelques 20° au dessus de l’horizon, et la lune en son premier croissant vient de faire son apparition.
Mais le halo lumineux des villes est tel qu’il faut s’enfoncer profondément dans la campagne (ou aller loin en mer) pour observer un ciel rempli d’étoiles, traversé par la voie lactée. Des astronomes, professionnels et amateurs, s’en plaignent et dénoncent la pollution lumineuse que vise à éviter l’article 36 de la loi consécutive au Grenelle de l’environnement, votée en octobre dernier. Je ne suis pas assez avancé dans la lecture de Sloterdijk pour savoir si le philosophe allemand a traité de l’éclairage dans ses Sphères. Mais Lacan avait déjà développé quelques réflexions sur la nuit et les effets civilisationnels de l’éclairage dans son séminaire sur le Transfert (leçon 2 du 23 novembre 1960). Les voici :
Un jour, j’aimerais vous faire un discours – où je prendrais mes exemples dans Phèdre justement, ou encore dans telle pièce d’Aristophane – sur un trait absolument essentiel sans lequel il n’y a pas moyen de comprendre comment se situer dans ce que j’appellerai, dans tout ce que nous propose l’Antiquité, le cercle éclairé. Nous, nous vivons tout le temps au milieu de la lumière. La nuit nous est en somme véhiculée sur un ruisseau de néon. Mais imaginez que, jusqu’à une époque relativement récente – il n’est pas besoin de se reporter du temps de Platon – la nuit était la nuit. Quand on vient frapper, au début de Phèdre, pour réveiller Socrate, parce qu’il faut se lever un petit peu avant le point du jour – j’espère que c’est dans le Phèdre, mais peu importe, c’est au début d’un dialogue de Platon 1 – c’est toute une affaire. Il se lève et il est vraiment dans le noir, c’est-à-dire qu’il renverse des choses s’il fait trois pas. Même chose au début d’une pièce d’Aristophane 2. Quand on est dans le noir, on est vraiment dans le noir. C’est là qu’on ne reconnaît pas la personne qui vous touche la main.
Pour prendre ce qui se passe encore au temps de Marguerite de Navarre, L’Heptaméron est rempli d’histoires qui reposent sur le fait qu’à cette époque-là, quand on se glisse dans le lit d’une dame la nuit, il est considéré comme une des choses les plus possibles qui soient, à condition de la fermer, de se faire prendre pour son mari ou pour son amant. Et cela se pratique, semble-t-il, couramment. Évidemment, ce que j’appelle, en un tout autre sens, la diffusion des lumières, change beaucoup de choses à la dimension des rapports entre les êtres humains. La nuit n’est pas pour nous une réalité consistante, ne peut pas couler d’une louche, faire une épaisseur de noir. Cela nous ôte certaines choses, beaucoup de choses.
- Protagoras en fait
- Lacan fait référence à L’assemblée des femmes ou ΕΚΚΔΗΣΙΑΖΟΥΣΑΙ
Très bon le post sur l’anonymat. Salutations 2009.