Avec le printemps viennent aussi les corrections des travaux d’étudiants du second semestre (qui se termine tôt en raison des deux sessions d’examen à organiser désormais avant l’été). Beaucoup de ces travaux qui donnent lieu à évaluation sont désormais réalisés dans le cadre d’un contrôle continu, qui prend de plus en plus de place par rapport aux classiques examens terminaux. Au lieu d’évaluer des dissertations ou des contrôles de connaissance rédigés en amphi, au jour et à l’heure prévus, sous l’œil vigilant et inquisiteur (si ! si !) des surveillants que nous sommes aussi dans ces occasions, nous corrigeons donc de plus en plus de dossiers, de fiches de lectures, de mémoires, d’exposés, etc. préparés par les étudiants chez eux, dans le cadre de travaux individuels ou par groupes (mais notre œil inquisiteur n’est évidemment plus là dans ce cas pour vérifier que les travaux individuels sont vraiment réalisés de façon individuelle). Le principe consistant à donner plus d’importance au contrôle continu — et dans ce cadre à des travaux de recherche et de réflexion plus qu’à des travaux de mémorisation des connaissances — n’est pas mauvais en soi. J’ai voté pour au CEVU 1 de mon université. Mais la vigilance est de mise face aux tentations grandissantes de fraude et de plagiat qu’entraîne ce mode d’évaluation.
Une phrase un peu trop bien écrite est en général un indice qui ne trompe pas. C’est cela qui a quelque chose de désespérant. Dans le cas qui motive ce billet, la phrase en question (dans un travail de seconde année de licence) était la suivante :
Riche et complexe à plusieurs égards, on peut saisir l’essentiel de la pensée de Tocqueville en la reconstruisant autour d’une grande idée maîtresse et de deux idées secondaires qui lui permettent de tracer un constat fort juste de la vie politique au sein des démocraties occidentales.
Mon œil exercé (!) ne m’a pas trompé. Ce ne pouvait pas être et ce n’était effectivement pas une phrase d’étudiant ! En saisissant le début de la phrase dans Google (« Riche et complexe à plusieurs égards, on peut saisir l’essentiel de la pensée de Tocqueville »), je suis arrivé ici. Tout le début du travail n’était qu’un copier-coller même pas maquillé des premiers paragraphes de cette page. Quant à la suite, il s’agissait d’un copier-coller de tout le développement consacré à l’égalisation des conditions dans l’article Tocqueville de… Wikipédia. Pas la moindre tentative de maquillage ici non plus. La note attribuée sera bien entendu zéro, les URL des sites plagiés figurant en référence ! Je pourrais même transmettre le dossier à la section disciplinaire du CA de l’université. Je ne sais pas bien en réalité quelle est ma marge de manœuvre pour signaler ou non ce type de fraude (même Paris IV, qui semble être une des rares universités françaises ayant choisi d’afficher sa politique en la matière dit seulement que l’université « peut sanctionner les comportements de plagiat », ce qui sous entend qu’elle ne le fait pas systématiquement).
Le problème est que ces fraudes se répandent. On a vu des thèses entièrement plagiées et un blog est désormais consacré à la question. Dans le cas des travaux de licence, je ne comprends pas comment les étudiants peuvent ne pas avoir eux-mêmes compris que si Google est leur (faux) ami, il est aussi l’ami du correcteur, surtout si ce dernier a conçu le sujet de façon à détecter plus facilement les fraudes ! Le pire étant bien sûr que tout travail un peu trop bien écrit (Wikipédia devenant en l’occurrence un modèle de bien écrire !) doit immédiatement attirer des soupçons… qui se révèlent malheureusement fondés dans la plupart des cas.
- Le Conseil des études et de la vie universitaire, l’un des trois conseils centraux des universités, prévu par la loi, avec un rôle désormais purement consultatif (art. 9 de la loi LRU du 10 août 2007 modifiant l’art. L712-6 du Code de l’éducation).
Pas de rapport direct, mais ce billet m’a fait penser à une discussion que j’ai eue avec une jeune collègue sortie quelques mois plus tôt de sa fac, pour lui expliquer que si dans le monde scolaire on lui demandait de montrer qu’elle savait et même de cacher son ignorance éventuelle, dans son travail, on avait absolument besoin qu’elle nous dise quand elle ne savait pas : elle a le droit de ne pas savoir faire, pas celui de nous mettre dans une situation difficile : c’est aussi cela, le travail d’équipe
Justement. Dans la plupart des travaux de contrôle continu évoqués dans ce billet (mémoires notamment) on ne demande pas aux gens de montrer ce qu’ils savent et encore moins de cacher leur éventuelle ignorance : on leur demande de s’emparer d’une question et de montrer comment ils vont la traiter… Et ils ont parfaitement le droit de nous dire quand ils rencontrent des difficultés. On a aussi besoin de le savoir. Dans un mémoire de master ou une thèse, le directeur est là pour ça. En tous cas, c’est ainsi que je procède. L’exigence n’est donc pas très différente de celle du monde professionnel. Quand il y a fraude, c’est justement parce que l’étudiant a voulu cacher son ignorance (on ne le lui demandait pas), ou sans doute plus souvent encore un comportement de cigale (référence à la fable de la Fontaine bien sûr : ayant dansé toute l’année, on se trouve fort dépourvu au moment où il faut rendre compte de son travail et on cède à la tentation de récupérer quelque chose de tout fait sur l’internet).
En se montrant moins transigeant, il est aussi possible d’estimer que celui qui se sait pas n’a qu’une chose à faire : apprendre, plutôt que d’indiquer son incompétence. Nous vivons une époque où les moyens de résoudre nos lacunes sont multiples. Il est trop commode de dire qu’on a le droit de ne pas savoir ; lorsqu’on est étudiant, on n’a que cela à faire, d’étudier et donc de cesser de ne pas savoir ; lorsqu’on est employé, on est rémunéré pour cela, donc on s’y emploie.
C’est peut-être cher Enclume des nuits que votre vision du savoir est un peu disons positiviste. J’avais un prof à la fac où enseigne Jean Michel qui racontait (anecdote inventée sans doute pour les besoins de la cause) que lorsqu’il recevait des démarcheurs en encyclopédie ( c’était avant internet 🙂 ) leur disait : » vous savez , moi je travaille plutôt à les rendre caduque » (je cite de mémoire). Je ne pense pas qu’apprendre consiste à combler des trous pour avoir en fait du plein mais plutôt , comme avec ces chateaux de sable lorque la mer monte, à reconstruire toujours autrement face au retour de la réalité qui ne tarde pas à faire s’écrouler votre bel édifice.
Oui, mais avant d’espérer rendre caduc un savoir, il faut quand même l’étudier un brin. Et autrement que par du copier-coller de Wikipedia !
On ne devrait pas noter une copie entièrement… copiée. Il n’y a pas de travail rendu autre que celui de copiste, qui ne fait pas partie du diplôme universitaire. Dans ce cas, la copie elle-même est absente, et j’ai tendance à penser qu’un étudiant qui ne rend pas une copie correcte (sans plagiat et sans un effort pédagogique minimal) doit être considéré comme un étudiant absent–après tout, le travail intellectuel est un prolongement de l’âme (Hegel, Principes de la philo. du droit, §14 je crois).
Quand je suis confronté à ce cas de figure, je note donc une absence injustifiée, et j’exclus des examens après deux absences de ce type, comme autorisé par le règlement intérieur. En revanche, je n’applique pas la réciproque et ne note aucune absence aux étudiants physiquement absents qui rendent leur travail par email ou par tout autre moyen : la présence intellectuelle est suffisante, la présence physique pas nécessaire. C’est tortueux mais ça me semble valide comme raisonnement.