À l’ombre des forêts américaines, je veux chanter des airs de la solitude tels que n’en ont point encore entendu des oreilles mortelles ; je veux raconter vos malheurs, ô Natchez, ô nation de la Louisiane, dont il ne reste plus que des souvenirs. Les infortunes d’un obscur habitant des bois auraient-elles moins de droits à nos pleurs que celles des autres hommes ? et les mausolées des rois dans nos temples sont-ils plus touchants que le tombeau d’un Indien sous le chêne de sa patrie ?
Telles sont les premières phrases des Natchez, ce roman que Chateaubriand écrivit pendant son exil à Londres entre 1793 et 1800, dont il ne récupéra le manuscrit qu’en 1816, et qu’il retravailla plus particulièrement dans les deux années précédant sa publication en 1826 dans les tomes XIX et XX de ses Œuvres complètes chez Ladvocat. Le récit s’inspire de la révolte des Natchez contre la colonie française de Fort Rosalie, en Louisiane, lors de laquelle, le 28 novembre 1729, les Indiens massacrèrent la garnison, n’épargnant ni les femmes ni les enfants1. Cette révolte sera suivi d’une répression à l’encontre des Natchez qui disparaissent en tant que nation dès 1731 (les survivants se réfugiant chez les Chicassas et les Creeks).
De juillet à décembre 1791, Chateaubriand a voyagé en Amérique, mais il n’a pas visité le pays des Natchez, qui se situait dans la région de la ville actuelle du même nom, dans l’état du Mississipi2. Après avoir combattu dans l’armée des Princes, il gagne Jersey (le 20 janvier 1793) puis l’Angleterre (le 17 mai). Au moment de se lancer dans la rédaction des Natchez, il est encore sous l’influence de Rousseau et du mythe du « bon sauvage ». Dans la préface de la première édition d’Atala, il explique qu’il avait voulu montrer dans Les Natchez « toutes les tribus indiennes conspirant, après deux siècles d’oppression, pour rendre la liberté au Nouveau-Monde ». Ainsi, deux siècles avant James Cameron, Chateaubriand avait imaginé un récit qui présente au moins un point commun avec le scénario d’Avatar. Telle est la première idée qui m’inspire ce billet. Je suis loin d’être un spécialiste du film de Cameron et des commentaires et analyses qu’il a suscité, mais il ne me semble pas que l’on ait déjà fait ce rapprochement (mes recherches sur Google en ce sens n’ont rien donné). Le scénario de Cameron est cependant bien plus manichéen que le récit de Chateaubriand. Telle est la deuxième idée que je voudrais développer. Avatar est bien un avatar actuel du mythe du bon sauvage, tandis que Les Natchez proposait une vision du monde plus complexe. Alors que Bruno Latour invitait dans Le Monde à « apprendre à vivre sur la planète Pandora », s’inspirant du film de Cameron pour repenser le « principe de précaution », je voudrais avec ce billet inviter à une relecture de quelques œuvres de l’Enchanteur qui puisse apporter un éclairage sur la façon dont est posée aujourd’hui la question écologique. À suivre…
- Ce site américain raconte le massacre de Fort Rosalie et donne la liste nominative des victimes françaises. [↩]
- Il s’embarque à Saint-Malo le 7 avril 1791 et débarque à Baltimore le 10 juillet. C’est en lisant par hasard un journal anglais qu’il apprend la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes. Il décide alors de rentrer en France. Il s’embarque entre la fin novembre et le 10 décembre sur un bateau à destination du Havre où il arrive le 2 janvier 1792. [↩]