Quand le grand-père d’Ernest-Antoine Seillière faisait connaître Max Weber

Tout étudiant de sociologie est censé savoir que la réception de l’œuvre de Max Weber en France a été assez tardive. Le rôle de Raymond Aron dans cette réception est bien connu : il raconte dans ses Mémoires la façon dont la découverte de Weber, lors de ses années d’Allemagne, entre 1930 et 1933, éveilla en lui « un intérêt parfois passionné, à la différence d’Émile Durkheim » (p. 105). Le livre La sociologie allemande contemporaine, écrit à son retour d’Allemagne à la demande de C. Bouglé (un durkheimien) et publié en 1935, a contribué à faire connaître en France des sociologues allemands alors peu connus, Max Weber à lui seul occupant un tiers du livre. Max Weber, ceci dit, n’était pas complètement inconnu du monde universitaire français avant cette date. Maurice Halbwachs l’avait présenté dans une note de 1929 des Annales d’histoire économique et sociale. Ce même Maurice Halbwachs, ainsi que François Simiand, s’était intéressé à Max Weber à plusieurs reprises dans l’Année sociologique.

A titre plus anecdotique, Isabelle Kalinowski signale, dans son introduction à sa traduction d’Hindouisme et Bouddhisme (Flammarion, Champs, 2003), qu’un certain Ernest Seillière avait fait une recension de la seconde édition (1923) du Recueil d’études de sociologie des religions (Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, 1920-1921) dans la Revue critique d’histoire et de littérature (vol. XCII, n° 12, 1925). Dans une courte note, elle précise qu’Ernest Seillière était membre de l’Académie des sciences morales et politiques et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire des idées en Allemagne. Mais elle ne mentionne pas son élection en 1946 à l’Académie française ni le fait qu’il était le grand-père de l’ancien et premier président du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière. Voilà qui confirme en tout cas ce qu’écrivaient Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans un chapitre (Hégémonie symbolique de la grande bourgeoisie) du livre de Paul Bouffartigue et Philippe Alonzo (Le retour des classes sociales, La Dispute, 2004) à partir justement de la biographie d’Ernest-Antoine Seillière : même les sciences sociales peuvent faire partie du capital culturel de la haute bourgeoisie !

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Une réponse à Quand le grand-père d’Ernest-Antoine Seillière faisait connaître Max Weber

  1. Béberre dit :

    L’anecdote est parfois philosophique, mais pas toujours comme on l’entend. Se demander ce qu’est la réception nous fournira ainsi une clef utile quant à interroger la boutade bourdivine sur le « capital culturel ».

    Ce qui fait la marque d’une pensée, ici la sociologie allemande de MW, c’est pourrait-on dire sa méthode, son outillage méthodologique, ainsi que ce qui a été amené à être découvert/prospecté. Sa fécondité se reconnaît à ce qu’elle inspire autant au niveau pratique qu’au niveau de la production intellectuelle ultérieure. À la limite, la méconnaissance du nom de l’auteur, dû moins à une malignité de l’édition qu’à une faible familiarité avec ce qui se fait à l’étranger, a peu d’importance.

    A contrario on peut avoir une réelle familiarité avec la production à l’étranger, ce qui fut le cas de Seillière senior avec l’Allemagne, et en même temps rester d’une pertinence assez relative (not. aux préjugés de son temps). Son découpage des générations romantiques au service d’une lecture tendancieuse, entendant faire ressortir la germanité turbulente comme foyer secret de l’impérialisme teuton, est très franchouillarde (curieux, c’est un peu le symétrique inverse des zalmans dénonçant les Lumières françaises comme produit d’exportation pour imposer leur empire). La spécificité du néo-romantisme peut aussi être comprise pour elle-même (ce qui fit Gusdorf), quitte à répéter que les contre-modernités font également partie de la Modernité, que cette dernière est par ailleurs travaillée de diverses tendances. Bref, de Seillière senior, restent aujourd’hui des notes de bas de page dans les bouquins actuels et pour les curieux quelques titres sur gallica.

    Que retenir de tout cela ? Qu’un véritable travailleur intellectuel participe autant à la vie de la cité qu’un ingénieur au processus industriel. Et, par-delà son cas, que la pensée (sociologique, philosophique, etc…) reste au fond un travail collectif en interrogation sur lui-même (relativement à son domaine) pour découvrir de l’inédit.

    Le « capital culturel », en ce sens, correspondrait plutôt aux « entrepreneurs d’idées » et à un certain public cherchant « distinction » en faisant montre de « lettres » (pas toujours de noblesse on l’aura compris). La collusion entre vulgariser et vendre atteint même le domaine éducatif resté longtemps protégé en France. C’est peut-être au fond ce qui excuse en partie Bourdieu, lui-même produit universitaire, de ses imprécations, notamment à la fin de sa vie, même si ce non-aligné n’était pas dupe que « le spectacle culturel » (médiatisé) était un simulacre de la « vie culturelle » d’un peuple. Aurait-il pu prononcer que la conclusion de votre billet tout en légèreté traduit surtout un embourgeoisement vôtre, mâtiné du vernis universitaire que donnent les sciences sociales ? Et quand bien même, cela ne lui aurait pas suffi à tourner cela à la manière sceptique, pour renvoyer à l’autre une mise en abyme sur ses propres réflexions. On en dit toujours trop ou trop peu…

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