Rimbaud ou Neruda ?

La citation suivante est souvent attribuée à Rimbaud :

Ce n’est qu’au prix d’une ardente patience que nous pourrons conquérir la cité splendide qui donnera la lumière, la justice et la dignité à tous les hommes.

Comme cette citation me paraît peu rimbaldienne, surtout dans sa deuxième partie1, j’ai fait une rapide recherche.

Ce que l’on trouve chez Rimbaud, c’est ceci :

Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. (Une saison en enfer, Adieu, avril-août 1873)

Et là tout me semble s’éclairer. Cette dernière phrase a été citée par Pablo Neruda dans son discours de réception du Nobel de littérature, le 13 décembre 1971 : Hacia la ciudad espléndida.

Hace hoy cien años exactos, un pobre y espléndido poeta, el más atroz de los desesperados, escribió esta profecía: « A l’aurore, armes d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides Villes ». « Al amanecer, armados de una ardiente paciencia, entraremos a las espléndidas ciudades ».

Et c’est Neruda qui la développe à sa façon dans la conclusion de ce discours :

En conclusión, debo decir a los hombres de buena voluntad, a los trabajadores, a los poetas que el entero porvenir fue expresado en esa frase de Rimbaud: sólo con una ardiente paciencia conquistaremos la espléndida ciudad que dará luz, justicia y dignidad a todos los hombres.

Así la poesía no habrá cantado en vano.

La citation par laquelle j’ai commencé ce billet est donc bien de Neruda, un Neruda qui reprend et développe à sa façon la phrase de Rimbaud dans Une saison en enfer.

  1. Le début de Mauvais sang, dans Une saison en enfer : « J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles ! […] Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux: sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or: je serai oisif et brutal », ainsi que les activités de Rimbaud en Étiophie font plus penser au capitalisme aventurier, que Weber opposait au capitalisme moderne et à son ethos du « devoir ordonné à la profession », qu’au rêve progressiste d’une cité de lumière, de justice et de dignité. Sa correspondance des années 1880 à 1891, qui prend presque autant de place, dans l’édition de la Pléiade, que la totalité de son œuvre poétique, le montre surtout malheureux de ne pas parvenir à accumuler suffisamment de bénéfice pour pouvoir le placer et vivre de ses rentes. []
Ce contenu a été publié dans Littérature, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.