Il y a quand même un truc bizarre avec les journalistes musicaux. On attend des journalistes sportifs qu’ils donnent des infos précises et si possibles exactes sur les compétitions dont ils rendent compte. Au minimum, dans une étape du Tour de France, le nom du vainqueur d’étape, les évolutions du classement général à l’issue de l’étape, mais aussi les noms des échappés, les stratégies des équipes, etc. Dans un match de foot, le nom des buteurs, la minute de jeu à laquelle ils ont marqué, les éventuelles pénalités, etc. C’est sur cette base objective qu’il est possible de donner une appréciation plus générale et plus subjective sur l’intérêt de l’étape ou du match.
Les choses sont très différentes, semble-t-il, dans le journalisme musical. On peut y donner une appréciation d’un concert sans même chercher à savoir ce que l’on a entendu, sans par exemple avoir pris la peine de se renseigner sur la setlist. C’est en tout cas ce que j’ai constaté dans des articles au sujet des prestations aux Vieilles Charrues de Bob Dylan l’an dernier et de Neil Young cette année.
L’an dernier, par exemple, Ouest-France décrétait que Dylan avait commencé son concert par un « obscur blues » (en fait Leopard-skin Pill-box Hat de Blonde on Blonde, 1966 !). Le Point tirait de son chapeau l’affirmation selon laquelle « les fans ont écouté sans grand enthousiasme les dernières compositions de Dylan, qui seront présentes dans « Tempest » » (or Dylan n’avait joué aucune composition de Tempest aux Vieilles Charrues). Le Figaro faisait de même. (Le Point et Le Figaro ne faisaient que reprendre une dépêche AFP pas mieux informée). Une journaliste de Tébéo nous disait qu’il n’avait joué aucun « tube » (ben non, n’est pas Patrick Bruel qui veut, mais il avait joué au moins une douzaine de « classiques » de son répertoire1 , comme le confirme la setlist du site officiel, en ligne 3 à 4 jours après le concert, ou comme le confirmait le jour-même la setlist officieuse).
Neil Young cette année semble avoir moins déçu les journalistes que Dylan l’an dernier. Le Télégramme, enthousiaste, en a même fait sa une du dimanche : « Neil Young : Le Grand Frisson », « Neil Young, « loner » magnifique ». C’est bien. Mais avant de donner son avis (j’aime/j’aime pas), il faut (s’) informer. Et là encore on trouve pas mal d’approximations. France 3 qui se réjouit d’avoir entendu le « tube interplanétaire » Heart of Gold (cette sempiternelle attente du « tube », alors que, pour les « tubes », il suffit d’acheter la compil’ « Nos années 70 » ou « Nos années 80 » en tête de gondole du supermarché du coin !), France 3 donc demande un peu plus loin : « Alors aurait-on eu tort de prendre pour un dû, le fol espoir de voir Neil Young revisiter aux Vieilles Charrues ses plus grands standards ? » (or des « standards », il y en avait quand même un paquet, comme le montre la setlist). Ouest-France nous dit que « si les plus anciens s’attendaient à retrouver Harvest, ils auront dû attendre une heure pour que Neil Youg passe à l’acoustique et à l’harmonica. Jusqu’à reprendre Blowing in the wind comme au plus fort des sixties ou seventies » (dites, vous ne saviez pas, les anciens, que « Neil Young’s gone electric » – comme Dylan depuis Newport ! – « and for a long time » – cf. le film Rust never sleeps de 1979 ?). Même chez ceux qui ne font pas la fine bouche, ce n’est pas toujours très précis. Le Mouv’, qui nous dit que Neil Young « électrise les Vieilles charrues », a entendu « une pléiade de titres issus du dernier opus Psychedelic Pill » (en fait trois, pas sept, ni une multitude, pas une si grosse « pléiade » que ça donc).
Vous imaginez ça dans le journalisme sportif ? « Le PSG a battu Marseille 1-0 avec un but de Machin à la 78e minute » (sauf que ce n’était pas un but de Machin mais de Truc et pas à la 78e minute mais dans les arrêts de jeu). « Il y avait une pléiade d’échappés dans l’étape Montpellier-Albi » (ah, ben non, ils n’étaient que trois en fait). Presque aussi flou et erroné que l’usage des chiffres par les journalistes du Monde (clin d’œil à Verel) !
Après vient l’appréciation, la subjectivité. RTL nous insère un tweet qui parle d’une « sublime version acoustique de Blowin’ in the Wind ». Le Télégramme, qui a apprécié tout le concert, a particulièrement apprécié aussi la « reprise bien sentie de Blowin’ in the Wind qui rappelle, cruauté involontaire, le franc ratage de Bob Dylan à Carhaix en 2012 ». Bien sûr, la cover de Blowin’ in the Wind de la tournée 2013 de Neil Young, très classique, vaut sans doute mieux que celle du dernier feu de camp de la patrouille des scouts de Poullfaoig2 . (Ici celle du concert de Londres, O2 Arena, le 17 juin dernier : )
Mais de là à y voir presque le clou du concert (qui était plutôt tout le reste, dans la lignée de Rust never sleeps, justement) ! Je préfère quand même la façon dont Dylan prend le risque de renouveler Blowin’ in the Wind. Pour ses versions plus « classiques », il y a les albums. (La version des Vieilles Charrues 2012 n’est pas sur You Tube, mais elle ressemblait à celle-ci, le 16 juillet 2012, à Barolo en Italie : )
(Voir aussi celle du 5 novembre à l’Alliant Energy Center, Madison, WI, USA — avec référence aux Présidentielles américaines en prime) :
- Le nombre exact dépend de ce que l’on appelle « classique ». [↩]
- merci à Jakez Krohen et Gwillou Vihan pour ce pseudonyme de localité. [↩]