1968-2018, La révolution introuvable (1 : le cours magistral et les supports de cours)

Le cinquantenaire de 1968, ce sera aussi, en juillet, celui d’un livre de R. Aron, La révolution introuvable. Réflexions sur les événements de mai (Paris, Fayard, En toute liberté, 1968, 187 p.). La lecture de ce livre montre que de tous les acteurs de l’époque, Aron, malgré son refus d’adhérer aux « événements » et malgré l’image que certains des acteurs de ces « événements » voulaient donner de lui – Sartre s’était montré de ce point de vue, mais faut-il seulement s’en étonner, particulièrement ignoble 1 -, n’était pas forcément le plus conservateur. Quelques citations peuvent en attester. En voici déjà une :

« Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi une fois un cours magistral polycopié, le professeur ne se borne pas à mettre celui-ci à la disposition des étudiants quitte, chaque année, à en développer une partie ou à en commenter un chapitre, ou à en donner des explications complémentaires» (p. 60).

Cinquante ans après, alors que la numérisation, le PDF et internet ont encore facilité la chose, cette pratique, dont Aron s’étonnait qu’elle ne soit pas plus répandue, reste marginale. Je dois être un des rares, dans mon département, à mettre le PDF de l’intégralité du cours d’un semestre, dès la semaine de rentrée, sur l’ENT, le CM servant ensuite à commenter ce PDF, à ajouter des exemples, etc. Beaucoup, y compris chez les étudiants, qui savent eux aussi être très conservateurs, ne voient de salut que dans le CM traditionnel, avec prise de notes, qu’elle se fasse à la main ou avec un ordinateur. L’argument, chez les collègues, est souvent que si l’on met l’intégralité du cours sur l’ENT, on vide les amphis. Comme s’ils ne se vidaient pas de toute façon sans cela (les sempiternels blocages y aident bien, qui découragent encore plus celles et ceux qui étaient déjà socialement conditionnés à être découragés). Et comme si l’assiduité en amphi était vraiment la condition première de la réussite (étudiant, administrativement inscrit comme assidu, je l’étais en réalité très peu ayant vite compris que les plans, les bibliographies et quand il existaient, les polycopiés de cours, étaient en réalité l’essentiel). Bref, bien que la sociologie du public étudiant, depuis 1968, ait eu le temps de considérablement se transformer et bien que les « nouvelles technologies », qui ne sont plus depuis longtemps très nouvelles, nous donnent des possibilités dont on ne pouvait rêver à l’époque, le modèle de l’enseignement universitaire reste encore très largement celui du cours magistral en amphi bien antérieur, lui, à 1968.

***

Occasion de rappeler que le cinquantenaire de 1968 est aussi le cinquantenaire de l’invention des filières AES :

https://twitter.com/anthropiques/status/961938873109635072

  1. Dans un article du 19 juin dans le Nouvel Observateur.
Ce contenu a été publié dans Université, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.