[Actualisé] Hayek et Saussure (très brève note de lecture)

La lecture du magnum opus de Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté, est passionnante.

Sans jamais se référer à Saussure, Hayek retrouve et développe, en l’appliquant au marché et à la législation (le «code» dans le vocabulaire de la théorie de la médiation), ce qu’avait bien vu le linguiste génevois au sujet des langues artificielles:

Celui qui en crée une la tient en main tant qu’elle n’est pas en circulation ; mais dès l’instant qu’elle remplit sa mission et devient la chose de tout le monde, le contrôle échappe. L’espéranto est un essai de ce genre ; s’il réussit, échappera-t-il à la loi fatale ? Passé le premier moment, la langue entrera très probablement dans sa vie sémiologique ; elle se transmettra par des lois qui n’ont rien de commun avec celles de la création réfléchie, et l’on ne pourra plus revenir en arrière (Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, p. 111).

La notion hayékienne d’ordre spontané (institué, donc non naturel, mais sans être le produit d’un dessein délibéré) s’applique parfaitement, socio-linguistiquement, à la langue et à son évolution historique (personne n’a planifié, par exemple, le passage du latin au français ; ça s’est fait tout seul, spontanément, par de multiples altérations dont l’effet cumulé global échappait complètement à la conscience des locuteurs, mais ça ne s’est pas fait, pour autant, n’importe comment). D’où aussi la critique par Hayek de la planification et du socialisme, qui prétend en tout domaine remplacer l’ordre spontané par un ordre délibérément construit (taxis). L’espérance est aussi vaine, finalement, que celles des espérantistes. Réflexion à poursuivre : jusqu’à quel point peut-on parler de convergence entre le structuralisme et Hayek ? Voir déjà ce billet de 2010, peut-être naïf et laissé sans suite, ou les quelques pistes sur le sujet dans cet article de l’an dernier. Cette poursuite de la réflexion ne pourra que montrer qu’un plein accord avec Hayek est impossible. Car il ne voit pas ou ne veut pas voir — c’est l’angle mort de sa pensée — que les actions collectives (syndicales ou autres) bien loin de s’enraciner comme il le prétend dans l’archaïsme d’une «société tribale» qui devrait disparaître au fur et à mesure que se diffuse la morale de la «Société Ouverte» sont elles-mêmes des manifestations spontanées et inévitables de ce que nous appelons la dialectique ethnico-politique (voir ici ou encore ici). L’ordre spontané autrement dit est à repenser en tenant compte de cette dialectique.

Ce contenu a été publié dans Linguistique, Sociologie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.