Je n’avais jamais lu Le Don paisible (Тихий Дон), le roman attribué à Cholokhov, retenu par quelques préjugés : trop long, trop soviétique…
Et puis j’ai regardé au printemps, dans les premières soirées de confinement, son adaptation au cinéma par Sergueï Guerassimov (1958), que l’on peut trouver dans son intégralité en VO sur la toile.
Et là j’ai compris mon erreur. Comment avais-je pu passer pendant tant d’années à côté d’un tel chef d’œuvre ? Je ne vais pas me lancer ici dans ma propre analyse, d’autant que je n’ai toujours pas lu le livre, en dehors de quelques passages de l’original en russe qui m’ont permis de mieux suivre les dialogues en VO (il faut en effet se familiariser avec quelques formes dialectales des Cosaques du Don et un dictionnaire spécialisé n’est pas inutile). Je ne peux que reprendre les termes du blog Le Littéraire:
Impossible de qualifier Le Don paisible de film de propagande, au contraire : la communauté cosaque sort meurtrie, ruinée, divisée par la révolution et la guerre civile. Ni les blancs, ni les rouges n’ont le beau rôle, seuls semblent compter et en même temps être bousculés les croyances, les traditions, les liens personnels et familiaux. Seule force éternelle : la nature qui s’exprime comme s’imposent à l’image la force et la largesse du fleuve. Comme le roman, le film montre d’abord des êtres dépassés, à l’épreuve de leurs passions et des forces profondes de l’histoire qu’ils ignorent parfois. «C’était tout ce qui lui restait dans la vie, ce qui l’attachait encore à la terre et à ce monde énorme, resplendissant sous le soleil froid»
Это было все, что осталось у него в жизни, что пока еще роднило его с землей и со всем этим огромным, сияющим под холодным солнцем миром. Telle est en effet la dernière phrase du livre. Je ne suis pas le premier après avoir vu ce film — mais la lecture du livre désormais suivra — à m’interroger sur un de ses mystères: comment un récit aussi éloigné de l’idéologie et de la propagande soviétique a pu acquérir le statut qui fut le sien en URSS ? Je laisse à d’autres, beaucoup plus qualifiées que moi sur ces questions, le soin de répondre.
Pour les simples amateurs de cinéma et de littérature, voici l’extrait du film qui sert de bande annonce à la distribution française sous-titrée en DVD:
(Les descriptions de la nature me font penser à celles que l’on trouve dans La Rouge rouge de Soljénitsyne, et cela dès la toute première phrase — un des plus belles invitations au voyage qu’il m’ait été donné de lire –, qui nous conduit dans le sud de la Russie elle aussi, mais plus près du Caucase: Они выехали из станицы прозрачным зорным утром, когда при первом солнце весь Хребет, ярко белый и в синих углубинах, стоял доступно близкий, видный каждым своим изрезом, до того близкий, что человеку непривычному помнилось бы докатить к нему за два часа. «Ils quittèrent la stanitsa à l’aurore d’une matinée diaphane quand, au premier soleil, les Crêtes d’une blancheur éclatante se dressaient si prochaines, avec leurs replis bleu sombre et chacune de leurs échancrures si visibles qu’un homme inaverti eût pensé les atteindre en deux heures de cheval» — traduction de Jean-Paul Sémon pour les éditions Fayard).
[A suivre avec un ou deux autres billets au sujet de deux autres films plus récents qui m’ont marqué parmi ceux vus dans les six ou sept derniers mois: Le géographe a bu son globe (Географ глобус пропил) d’Alexandre Veledinski, sorti en 2013, et Jour sans fin à Youriev (Юрьев день) de Kirill Serebrennikov sorti en 2008.]