Je gardais ce livre depuis la fin du collège mais je ne l’avais jamais lu. Le confinement et un dimanche après-midi pluvieux ont été une occasion de bien avancer dans sa lecture. Quelques passages m’ont paru tout particulièrement actuels :
Cependant ayant appris avec une évidence souveraine de ma vie de tous les jours que produire et consommer est, comme les cuisines du palais, non le plus important mais seulement le plus urgent, j’en veux le reflet dans mon principe. Car l’urgence ne me sert de rien et je pourrais dire tout aussi bien : « L’homme est celui qui ne vaut qu’en bonne santé… », et en déduire une civilisation où, sous le prétexte de de cette urgence, j’installe le médecin comme juge des actions et des pensées de l’homme. Mais là encore, ayant appris de moi-même que la santé n’était qu’un moyen et non un but, je veux, de cette hiérarchie, le reflet aussi dans mon principe. Car si ton principe n’est point absurde, il est probable qu’il entraînera la nécessité de favoriser production et consommation, ou le souhait de la discipline pour la santé.
Ou encore :
Et si l’expérience m’a enseigné que les hommes heureux se découvraient en plus grande proportion dans les déserts, et les monastères, et le sacrifice, que chez les sédentaires des oasis fertiles ou des îles que l’on dit heureuses, je n’en ai point conclu, ce qui eût été stupide, que la qualité de la nourriture s’opposait à la qualité du bonheur, mais simplement que là où les biens sont en plus grand nombre il est offert aux hommes plus de chances de se tromper sur la nature de leurs joies car elles paraissent en effet venir des choses alors qu’ils ne les reçoivent que du sens que prennent ces choses dans tel empire ou telle demeure ou tel domaine. Dès lors, dans la prospérité il se peut que plus facilement ils s’abusent et courent plus souvent des richesses vaines.
(Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, CXLI et CXXXVIII)