L’habitude de souhaiter un « bon week-end », soit une bonne fin de semaine, a fait perdre de vue que le dimanche est pour l’Église au moins, comme il l’était encore pour le Littré (1863), « le premier jour de la semaine ».
Le dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et von Wartburg date du début du 20e siècle (1906) l’adoption par notre langue de l’anglais week-end. Le Trésor de la langue française informatisé renvoie plus particulièrement au livre de Pierre de Coulevain, L’île inconnue, paru cette année-là (que l’on peut lire désormais en version numérisée). Pierre de Coulevain était le nom de plume d’une femme de lettres, Jeanne Philomène Laperche, qui, en publiant sous ce titre son journal écrit outre Manche, visait à démolir quelques-uns des malentendus « entre John Bull et Madame la France » (p. VI). Quelques paragraphes étaient tout particulièrement consacrés au « week-end », dont voici les principaux :
On appelle ainsi ce congé du samedi à midi au lundi matin que nos voisins s’accordent si sagement. Il était autrefois le privilège exclusif des travailleurs. Aujourd’hui, il est venu en usage chez les mondains. Ils l’emploient à varier leurs amusements. Le roi même prend son « week end ». Je ne suis pas sûre qu’il n’y ait autant de droit que le plus laborieux de ses sujets. Il va le passer dans quelque château ami. On voit souvent filer en éclair la petite locomotive pilote qui neutralise la voie pour lui. A regarder Buckingham Palace, on devine avec quel plaisir il doit s’en échapper.
Le « week end » mondain est quelque chose de très particulier. Il mériterait une monographie signée d’un Thackeray ou d’un des grands fouets satiriques. Quelle surexcitation de vanité, de snobisme, d’ambition, il provoque ! Coûte que coûte, chez soi ou chez les autres, il faut l’avoir brillant et chic. On pêche des semaines durant une invitation, on s’en glorifie pendant des mois. C’est une sorte d’étiquette sociale.
Les jeunes gens emmènent volontiers à Paris une petite femme quelconque, les hommes mûrs, la maîtresse sérieuse qu’ils cachent aux environs de Londres. On les rencontre sous les arcades de la rue de Rivoli, aux courses, dans les maisons de thé, dans les cafés-concerts. Ils ont l’air gauche et honteux comme tous les Anglais en rupture de respectabilité. Quand je rencontre ces couples de transfuges, je me dis : « Voici a week end. » Le mot français ne va pas à cette chose essentiellement anglaise. (p. 39-40)
Mais le mot anglais, lui, a fini par devenir français, la fin de semaine incluant donc son « premier jour » à savoir le dimanche. L’étymologie de ce dernier mot est bien connue, mais peu de gens sans doute y reconnaissent encore le dies dominicus, ou « jour du seigneur », du latin ecclésiastique. Il est vrai que les transformations phonétiques successives, qui sont passées entre autres, selon Bloch et Wartburg, par un gallo-roman *didominicu, l’ont rendu bien méconnaissable. Des évolutions différentes ont donné l’espagnol domingo et l’italien domenica.
L’anglais, avec sunday, comme l’allemand, avec Sonntag, sont restés fidèles, en quelque sorte, à la loi de 321 de l’empereur Constantin 1er, qui faisait du dies solis, le « jour du soleil », un jour de repos en l’honneur du dieu solaire, Sol invictus ou « Soleil invaincu »1.
Le breton fait de même avec disul, que l’on trouve en 1499 (écrit diczul) – avec la traduction « dimenche » – dans le Catholicon (dictionnaire breton – français – latin) de Jehan Lagadeuc. Mais disul (contrairement à sunday ou à Sonntag) est une forme adverbiale. La forme substantive (nom) est sul, ce qui, avec l’article, donne ar sul (« le dimanche »). L’autre particularité du breton, dans la langue populaire, est que le lien entre sul et le soleil est largement perdu. Sul ne désigne plus que le dimanche, alors qu’il est très facile, pour un anglophone ou un germanophone, de retrouver the sun ou die Sonne dans sunday ou Sonntag. Le soleil, en breton, se dit heol, un mot qui peut paraître très éloigné de sul.
Les spécialistes de l’étymologie des langues indo-européennes font pourtant dériver tous ces termes – le latin sōl et le « soleil » français, tout aussi bien que le grec ancien ἥλιος (hélios) ou le breton heol – d’une même origine, par des phénomènes linguistiques que décrivait ainsi le lexique étymologique breton de Victor Henry (1900) :
Héol, substantif masculin, soleil, moyen-breton heaul, cornique heuul > houl, gallois haul > heul-, vieil-irlandais súil « œil », gaélique sùil idem : d’un celtique *sāwali– et *sūli– « soleil », cf. sanskrit sūrya, grec *σαϜελιος > ἡέλιος > ἥλιος, latin sōl, gothique sauil (anglais sun, allemand sonne dérivés secondaires), lituanien saulè, etc.
Quelques mots encore pour terminer cette digression sémantique. J’avais entendu parler du mot japonais komorebi [木漏れ日] qui désigne, selon ce que j’ai pu en lire, la lumière du soleil filtrant à travers les arbres. Il n’y a aucun mot en français désignant tout particulièrement ce phénomène. Mais il existe en breton un mot qui pourrait être un assez bon équivalent du mot japonais, équivalent que j’ai découvert en lisant le livre de Daniel Giraudon sur les traditions populaires bretonnes attachées à la flore et à la végétation (Du chêne au roseau, Fouesnant, Yoran Embanner, 2010). Le livre débute par un poème de Fañch Peru, dont voici un extrait :
Stered roz tener louzaouenn ar soavon
E brizheol an hentoù don
Daoulagad ar Werc’hez
War seul ar vogerenn
Fleur-koukoug e disheol ar c’hoad teñval
La traduction française que donne le livre est
Étoile rose tendre de la saponaire
Dans le clair-obscur des chemins creux2
Iris de la Vierge3
Au talon du muret
Jacinthes sauvages à l’ombre des bois sombres
Brizheol est donc traduit par « clair-obscur » (c’est la traduction que donne le dictionnaire de Francis Favereau) tandis que disheol est traduit par ombre. Cela peut se comprendre d’un point de vue sémantique. Mais cela fait perdre par deux fois la référence directe au soleil (heol) que l’on trouve dans les dérivés brizheol et disheol. Disheol (dis-heol), c’est mot à mot le «dé-soleil», comme le diskorn (di-skorn) est le «dé-gel», donc effectivement l’ombre ou l’ombrage. Quant à brizheol, c’est brizh-heol, ce qui peut se comprendre comme le soleil tacheté, moucheté, c’est-à-dire précisément le résultat de ces « fuites de soleil à travers les arbres », que l’on trouve entre autres dans les chemins creux, en quoi semble pouvoir se décomposer le mot japonais komorebi.
- Son invocation s’est retrouvée bien plus récemment dans le cinéma populaire, avec la formule qui permettait au mage Eusèbius de transporter Godefroy de Montmirail et son fidèle écuyer Jacquouille dans les couloirs du temps : Per Horus et per Ra et per Sol Invictus… ! [↩]
- Mon commentaire: la saponaire officinale n’est pas indigène en Bretagne. Mais elle se rencontre ça et là, échappée des jardins et cultures. Je ne l’aurais pas choisie comme plante emblématique du « clair-obscur des chemins creux ». [↩]
- Mon commentaire: la traduction par « iris de la Vierge » vise sans doute à garder le double lien aux yeux (daoulagad = les deux yeux) et à la botanique (l’iris comme plante). Le problème est que si daoulagad ar Werc’hez, mot à mot « les yeux de la Vierge », est bien un nom vernaculaire de plante, ce n’est pas celui d’un iris, mais, selon Plantkelt, celui du genre myosotis. On voit mieux le myosotis que l’iris d’ailleurs, « au talon du muret ». Encore que l’iris fétide… Mais en breton ce serait roued-touseged. [↩]