Le personnel et les étudiants de Rennes 2 ont reçu hier par courrier électronique les vœux de la présidence de l’université, ainsi rédigés :
Le président et l’équipe de direction de l’Université Rennes 2 vous souhaitent une bonne année 2024 et font le vœu qu’à travers leur mission de service public, les établissements d’enseignement supérieur continuent de former des esprits éclairés, porteurs de paix et de tolérance.
Prezidant ha skipailh renerezh Skol-Veur Roazhon 2 a het ur bloavezh mat deoc’h gant ar spi e kendalc’ho ar skolioù uhel, dre o c’hefridi a servij publik, da stummañ speredoù anaoudek a zegas peoc’h ha madelezh.
Les vœux en français sont suivis de leur traduction en breton, ce qui est très bien, mais soulève quelques questions d’un point de vue sociolinguistique, c’est-à-dire sociologique tout court en bonne épistémologie. Selon les chiffres affichés sur le site internet de l’université, nous sommes 1 400 membres du personnel et 22 000 étudiants. Le message a donc été envoyé à quelque 23 400 personnes. Combien sur ces 23 400 ont lu les vœux dans les deux langues ? Combien peuvent comprendre le message en breton ? Combien même sont capables de dire que c’est du breton ? J’ai bien une petite idée, car il existe des enquêtes sur la situation de la langue bretonne (la dernière date de 2018). Mais personne, je suppose, n’a les chiffres pour répondre précisément à ces questions dans le cas de Rennes 2.
Mais ce que j’ai apprécié surtout, c’est le dernier mot de la traduction en breton. En français, il est question de « paix et de tolérance ». La tolérance, ici, c’est bien sûr l’«état d’esprit de quelqu’un ouvert à autrui et admettant des manières de penser et d’agir différentes des siennes» (définition du TLFI, qui donne comme synonyme le libéralisme). Mais la tolérance, ça peut être aussi le «fait de tolérer quelque chose, d’admettre avec une certaine passivité, avec condescendance parfois, ce que l’on aurait le pouvoir d’interdire, le droit d’empêcher». C’est dans ce sens que l’on parlait autrefois des maisons de tolérance.
C’est un tout autre mot qu’utilise la traduction en breton: madelezh. Madelezh ou madelez, selon l’orthographe retenue, c’est la bonté. Le mot n’a pas nécessairement de connotation religieuse, mais il est souvent employé en breton dans des textes religieux, associé par exemple à la sainteté: « santelezh ha madelezh ». « C’hoarzin a ran, eme Bol, o welet madelez divent an Otrou Doue em c’henver » (je ris, dit Pol, en voyant la bonté sans limite du Seigneur Dieu à mon égard), peut-on lire par exemple dans Bue ar Zent (la vie des saints) de l’abbé Perrot, à la date du 12 mars, consacrée à Pol Aurélien. Le champ sémantique et l’effet de sens sont donc très différents de celui du français « tolérance ».
On peut faire quelques remarques aussi au sujet du mot anaoudek, utilisé pour traduire le français « éclairés ». Plutôt qu’à la lumière ou à la clarté (sklêrijenn en breton), anaoudek renvoie à la connaissance et à la compétence. Le mot est parent du verbe anavezout, « connaître ». Les « esprits éclairés » dont parlent les vœux français sont les héritiers, je suppose, de l’esprit des Lumières ou de l’Aufklärung allemande, soit du siècle dit des Lumières (Kantved ar Sklêrijenn en breton). Beau programme, mais qui suppose peut-être quand même quelques prérequis (clic) dont désormais une réflexion sur les outils de triche (clac). Les vœux bretons, eux, traduits au plus près, invitent à former des esprits compétents (ou connaisseurs) porteurs de paix et de bonté. C’est un beau programme également.