On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans…

La grande affaire du moment, en dehors de la dette publique et de l’euro, ou accessoirement de quelque marée noire dans le golfe du Mexique, ce sont les apéros géants. Évidemment, il s’en trouve pour nous dire que c’est une « évolution sociétale », que ça crée du « lien social » (concept passe-partout le plus souvent, qui ne désigne guère qu’une vague coprésence), mais qu’il faut organiser des « tables rondes » (avec des chevaliers ?), etc. Why not !

Je laisserai de côté pour l’heure une réflexion un peu plus sérieuse sur le fameux « lien social » et me contenterai d’une digression littéraire. Ces apéros en effet me font penser à Rimbaud, mais à un Rimbaud dont le « paletot » (« Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! Et j’étais ton féal ; Oh! là là! que d’amours splendides j’ai rêvées ! »), dont le « paletot » donc porterait désormais les logos des sponsors : réseau social, marque de bière, de vodka, de boisson énergisante, de chaîne de restauration rapide ou de chaussures de sport…

Disons que je le préférais avec ses « poches crevées » et ses « souliers blessés » :

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière;
Le vent chargé de bruits, — la ville n’est pas loin, —
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

A relire en entier ici, en ce beau soir de mai.

(Le manuscrit est daté du 23 septembre 1870. Le 29 août, Rimbaud avait fait sa première fugue en prenant le train pour Paris. Il n’aura que seize ans le 20 octobre. Enfermé à la prison de Mazas le 5 septembre, il avait écrit à son jeune professeur de rhétorique, Izambard, pour être délivré. Je n’en tire pas plus de conclusion sociologique bien sûr que je n’en tirais de mon précédent souvenir littéraire, sinon peut-être que la littérature peut aussi participer d’une démarche compréhensive, pour, comme l’écrivait Mauriac à propos du roman, mieux que les « notions » et les « chiffres », nous livrer « le cœur d’un homme » — François Mauriac, Le bâillon dénoué, billet des 19-20 novembre 1944.)

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2 réponses à On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans…

  1. Ivi dit :

    « Le vent chargé de bruits, la ville n’est pas loin » (un « si » s’est glissé là par erreur?). Merci de m’avoir fait relire ce texte en tous cas!

  2. Jean-Michel dit :

    Oui, il y avait un « si » en trop. C’est corrigé, ainsi que l’absence des tirets cadratins.

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