Le Nobel de littérature à Bob Dylan

Quand j’ai appris jeudi, au tout début de l’après-midi, l’attribution à Bob Dylan du Nobel de littérature, j’ai d’abord cru à une blague. Il m’a fallu consulter plusieurs sites d’information avant d’y croire tout à fait. Je connaissais la rumeur bien sûr, déjà ancienne, qui faisait de lui un nobélisable. Mais justement, ce n’était qu’une rumeur, qui me semblait déjà appartenir au passé. Le choix du jury de Stockholm pour moi, comme pour à peu près tout le monde, a donc été une vraie surprise. Une surprise, mais aussi une coïncidence. Car il se trouve que la veille, sur la route, j’écoutais justement un de ses albums. Le quatrième. Another Side of Bob Dylan. Je ne l’avais plus écouté depuis longtemps. Prêtant attention aux paroles autant qu’il est possible quand on est au volant, je me disais justement qu’il faudrait que je note celles qui m’accrochent plus particulièrement, dans une sorte d’association libre. Alors voilà.

All I Really Want to Do avec le yodel du refrain et le couplet final où Dylan, cela s’entend dans l’enregistrement, est sur le point d’éclater de rire.

La fin de Black Crow Blues

Black crows in the meadow
Across a broad highway
Black crows in the meadow
Across a broad highway
Though it’s funny, honey
I just don’t feel much like a
Scarecrow today

Ces deux vers de Spanish Harlem Incident

Your temperature’s too hot for taming
Your flaming feet burn up the street

D’autres de Chimes of Freedom

Seeming to be the chimes of freedom flashing
Flashing for the warriors whose strength is not to fight
Flashing for the refugees on the unarmed road of flight
An’ for each an’ ev’ry underdog soldier in the night
An’ we gazed upon the chimes of freedom flashing.

Et là comment ne pas penser aux guerres et aux réfugiés d’aujourd’hui ? À ces généraux qui évoquent le risque d’une guerre nucléaire ? Et à cette autre chanson que Dylan a dit avoir écrite en pleine crise de Cuba (mais il est attesté, nous dit François Bon, qu’il l’a chantée trois semaine avant et Dylan lui-même a déclaré dans une interview de 1963 par Studs Terkel qu’elle ne parlait pas de guerre nucléaire : «No, no, it’s not atomic rain. It’s just a hard rain. It’s not atomic rain, no ! […] I’m not a topical songwriter.») :

I saw guns and sharp swords in the hands of young children
And it’s a hard, and it’s a hard, it’s a hard, it’s a hard
And it’s a hard rain’s a-gonna fall

(Il y a toute une séquence dans No Direction Home de Scorsese à son sujet.)

Mais pour en revenir à Another Side, il y a aussi I Shall be Free n° 10, dans le genre humoristique cette fois (le jeune Dylan, les films et les enregistrements le montrent, est très souvent en train de rire, même l’harmonica se marre). Je devrais citer toute la chanson, mais je ne garderai ici pour finir que ces vers prophétiques (!) :

Yippee! I’m a poet, and I know it.
Hope I don’t blow it.

Rire et jouer avec les mots (Londres, angle de Gloucester Road et de Queen’s Gate Mews – clic) :

Personnellement, je ne me plaindrai pas de cette attribution, qui me réjouit plutôt. Mais je peux comprendre que ça ne plaise pas à tout le monde. Je n’entrerai pas dans le débat sur les mérites de Dylan, ni dans celui sur la définition de la littérature1. Je constate seulement que certains en ont une vision très arrêtée. Mais est-ce que la poésie médiévale était de la littérature ? Par manque de temps, je n’ébaucherai pas non plus d’analyse sociologique de ce débat, analyse qui devrait raisonner au minimum en termes de champ littéraire mais s’intéresser aussi à ces passions éminemment sociales que sont l’envie, l’orgueil et la jalousie. Comme dans le paragraphe de conclusion de cet article du New York Times, je me dis seulement que les prix Nobel sont rares et que Dylan n’est sans doute pas celui qui en avait le plus besoin. Peut-être que ça le gêne un peu d’ailleurs, lui, Dylan.

I put down my robe, picked up my diploma,
Took hold of my sweetheart and away we did drive,
Straight for the hills, the black hills of Dakota,
Sure was glad to get out of there alive.
And the locusts sang, well, it give me a chill,
Yeah, the locusts sang such a sweet melody.
And the locusts sang with a high whinin’ trill,
Yeah, the locusts sang and they was singing for me,
Singing for me, well, singing for me.

PS. du 15/10. Les journalistes musicaux recopieurs de dépêches AFP semblent toujours aussi fâchés avec la vérification des informations et des setlists.

  1. On peut trouver ici, dans les Huit leçons, p. 190 à 193, une ébauche de définition ou plutôt d’analyse que je préfère nettement à la définition des actuels gardiens du temple. []
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