De nombreux commentateurs l’ont déjà souligné depuis hier : la première grande caractéristique de ce second tour des élections municipales, c’est le taux d’abstention, le plus fort semble-t-il, toutes élections confondues, dans l’histoire de la 5e République.
Voici le rappel de quelques résultats pour la Bretagne historique (Nantes et villes de plus de 15 000 habitants en Bretagne administrative) :
Maire | Ville | Population 2016 | Part des exprimés | Part des inscrits | Électeurs |
---|---|---|---|---|---|
Johanna Rolland (PS) | Nantes | 306694 | 59,67 % | 17,87 % | 34107 |
Nathalie Appéré (PS) | Rennes | 216268 | 65,35 % | 20,03 % | 23352 |
François Cuillandre (PS) | Brest | 139342 | 49,70 % | 14,93 % | 12628 |
Isabelle Assih (PS) | Quimper | 63405 | 51,25 % | 22,14 % | 9520 |
Fabrice Loher (DVD) | Lorient | 57274 | 35,34 % | 12,55 % | 4815 |
David Robo (DVD)* | Vannes | 53218 | 50,92 % | 19,76 % | 7546 |
Gilles Lurton (DVD) | Saint-Malo | 46005 | 70,70 % | 28,09 % | 10676 |
Hervé Guihard (DVG) | Saint-Brieuc | 44999 | 59,89 % | 20,48 % | 5908 |
Gilles Carréric (DVG)* | Lanester | 22399 | 54,79 % | 20,62 % | 3417 |
Louis Feuvrier (DVC)* | Fougères | 20194 | 51,17 % | 18,83 % | 2539 |
Paul Le Bihan (PS)* | Lannion | 19831 | 52,28 % | 19,53 % | 2771 |
Marc Bigot (DVD) | Concarneau | 19046 | 44,55 % | 17,70 % | 3125 |
Philippe Salmon (DVG)* | Bruz | 18094 | 54,89 % | 20,78 % | 2678 |
Ronan Loas (DVC)* | Ploemeur | 17911 | 60,38 % | 25,52 % | 4019 |
Isabelle Le Callennec (DVD)* | Vitré | 17884 | 55,63 % | 26,93 % | 3671 |
Jean-Pierre Savignac (DVD)* | Cesson-Sévigné | 17371 | 60,50 % | 26,73 % | 3453 |
Patrick Leclerc (DVD)* | Landerneau | 15836 | 72,26 % | 27,89 % | 3191 |
André Hartereau (DVG)* | Hennebont | 15620 | 52,88 % | 18,70 % | 2183 |
Les astérisques * dans la première colonne signalent une élection dès le premier tour.
Dieu sait que certains ont insisté, depuis 2017, sur le fait qu’Emmanuel Macron aurait été un président mal élu avec 66 % des suffrages exprimés mais seulement 43,6 % des inscrits (20 743 128 électeurs, contre 10 638 475 pour son adversaire, Marine Le Pen)1. Que dire alors de maires qui sont élus par bien moins d’un quart des inscrits ? Ils sont élus bien sûr et leurs adversaires malheureux représentaient une fraction encore plus faible des inscrits. Les résultats auraient-ils été très différents avec une participation plus importante ? Peut-être pas et c’est aussi une des explications possibles, au moins dans certains cas : le résultat paraît plié d’avance, alors à quoi bon aller voter ? Les abstentionnistes n’ont certes pas voté pour les élus, mais ils n’ont pas non plus voté contre eux. Il y a aussi bien sûr la pandémie. Mais le climat, sur ce plan, était probablement moins anxiogène en juin qu’en mars, quand nous n’avions pas encore commencé à apprendre à vivre avec le virus. Ces records d’abstention donnent donc du grain à moudre aux sociologues politiques sur le thème de la crise de la démocratie [Ajout du 3 juillet: par exemple ; ajout du 20 juillet : ou encore sur l’abstention et l’illusion d’optique de la «vague» verte].
Les penseurs politiques classiques, tels Tocqueville, s’inquiétaient, eux, de ce qu’ils appelaient la «tyrannie de la majorité» :
Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on l’appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d’autres lois (De la démocratie en Amérique, I, 2e partie, chap. VII)
L’avertissement reste valable quand la majorité est de fait une minorité (on peut ajouter aux résultats bretons ci-dessus ceux des trois plus grandes villes françaises: Anne Hidalgo réélue avec quelques 20 % des inscrits à Paris, Michèle Rubirola élue à Marseille avec quelques 13 % des inscrits, Grégory Doucet élu à Lyon avec 19 % des inscrits). Ce n’est pas, ajouterait Tocqueville, que dans toutes ces villes, comme dans la France entière, on fasse un usage fréquent de la tyrannie, c’est que le principe de l’élection, en lui-même, «ne découvre point de garantie contre elle, et qu’il faut chercher les causes de la douceur du gouvernement dans les circonstances et dans les mœurs, plutôt que dans les lois» (ibid). Cela me semble toujours aussi vrai aujourd’hui qu’en 1835 et le fait que les vainqueurs tendent à chaque fois à l’oublier peut expliquer bien des déboires dans notre pays comme dans d’autres.