Le socialisme du 21e siècle ?

Après l’exposé dans le précédent billet de la distinction lacanienne entre foolery et knavery, il est temps de passer aux exercices pratiques. J’ai choisi pour cela de commenter un fragment de discours politique, le second chapitre des principes fondateurs du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Ce chapitre est intitulé « Un autre monde est possible : le socialisme du 21e  siècle ». Le premier chapitre qui dresse une sorte d’état des lieux sous le titre « le capitalisme met l’humanité et la planète en danger » demanderait un commentaire à lui tout seul. Il en va de même pour le troisième et le quatrième chapitre qui définissent les objectifs immédiats de la lutte (les « urgences sociales ») et la stratégie politique (organisation en parti, soutien aux luttes sociales, participation aux élections). Voici donc un commentaire du deuxième chapitre.

La grande majorité de la population est constituée de travailleurs, manuels ou intellectuels : celles et ceux qui n’ont que leur force de travail à mettre en œuvre, le plus souvent contre un salaire, qu’ils/elles aient un emploi ou en soient privés, qu’ils/elles soient actifs ou en retraite. L’écrasante majorité des jeunes en formation est destinée à rejoindre cette classe des travailleurs. 

On retrouve l’idée classique depuis le Manifeste communiste de Marx d’une partition de la société en deux grandes classes et deux seulement, celle des oppresseurs et celle des opprimés : la bourgeoisie, d’une part, qui possède les moyens de production et les prolétaires (désormais appelés « travailleurs »), de l’autre, qui ne possèdent rien si ce n’est leur force de travail. Si « travailleurs » signifie salariés, il faut reconnaître que nos sociétés sont en effet des sociétés salariales. Mais s’il y a des working poors parmi ces salariés, il y a aussi des working riches (les traders de Wall Street ou de la City sont aussi des salariés). Et il y a entre les deux tout l’éventail des salaires. Rien ne permet d’affirmer que tous ces salariés constituent une même « classe » et ont les mêmes intérêts. Parmi les jeunes en formation, la plupart en effet deviendront des salariés, mais si certains connaissent un déclassement (enfants des classes moyennes qui, malgré des niveaux de diplôme élevés n’arrivent pas à trouver des emplois de même niveau que ceux de leurs parents), d’autres rejoindront le groupe des managers salariés. Bref, cette description d’une société constituée de deux grandes classes antagonistes ne résiste pas à l’examen le plus élémentaire. Marx déjà, dans les études historiques (La lutte des classes en France, Le dix-huit brumaire), était obligé de distinguer plus de deux classes, remarquant que les différentes « fractions » de la bourgeoisie étaient parfois opposées entre elles (cas de ce qu’il appelle « l’aristocratie financière » et la « bourgeoisie industrielle » sous la monarchie de Juillet, par exemple). Le leader socialiste, Edouard Bernstein, à la fin du XIXe siècle, réfutait déjà la thèse de la prolétarisation croissante défendue par Marx dans le Manifeste, qui ne rendait pas compte de la différenciation du salariat. « Le nombre de possédants, écrivait Bernstein, s’accroît au lieu de diminuer. Il ne s’agit pas là d’une invention d’économistes bourgeois partisans de l’harmonie sociale, mais d’un fait incontestable, souvent désagréable pour les contribuables, mais reconnu et enregistré par le fisc » (E. Bernstein, Socialisme théorique et social-démocratie pratique, 1898).

Pour les salariés et l’ensemble de la population exploitée, il n’y a pas d’autre solution que de s’attaquer à la racine même de ce système entré en faillite. Il n’y a pas un “ bon ” capitalisme productif, qui s’opposerait au capitalisme financier qui l’aurait perverti. Capital industriel et capital de placement financier sont depuis très longtemps interpénétrés. La mondialisation capitaliste a été la réponse des bourgeoisies des pays développés à la chute des taux de profit qui s’est produite lorsque le boom d’après-guerre a pris fin.

Au cours des trois dernières décennies, le monde du travail a subi une diminution croissante de ses revenus au bénéfice des actionnaires (en 1982, les dividendes aux actionnaires représentaient 4,4% de la masse salariale ; aujourd’hui, 12,4%). De ce fait, il est de plus en plus difficile aux capitalistes de trouver pour leurs produits des marchés solvables. Cette situation les a poussés à tourner toujours plus de capitaux vers la spéculation, ce qui a aggravé la tendance naturelle du capitalisme à la financiarisation.

De quelle masse salariale est-il question ici ? Est-on à l’échelle nationale (et si oui de quel pays) ? A l’échelle mondiale ? D’où viennent ces chiffres ?

Bien sûr, on peut toujours exprimer n’importe quel chiffre en pourcentage de n’importe quel autre, mais il n’est guère cohérent, d’un point de vue comptable, de rapporter les dividendes à la masse salariale, comme si les premiers venaient en déduction de la seconde. Il est plus cohérent (et plus courant) de calculer la part que représentent les salaires dans la valeur ajoutée (puisque ces derniers sont financés par celle-là). On sait que cette part est à peu près constante dans la longue durée et cela dans tous les pays où l’on est capable de la mesurer, la proportion s’établissant à 2/3 pour les salaires et 1/3 pour les profits (Cf. Thomas Piketty, L’économie des inégalités, La Découverte, coll. Repères, ainsi que ce billet sur le blog Optimum). Des variations non négligeables sont toutefois constatées dans le moyen terme, variations significatives à l’échelle d’une vie de travail (voir l’article de Denis Clerc, dans le dernier numéro de L’économie politique).

Les dividendes versés aux actionnaires quant à eux représentent une part des profits après déduction de l’impôt sur les sociétés, part qu’il serait intéressant de comparer avec celle consacrée à l’investissement.

Se donner pour perspective le retour hypothétique à un capitalisme plus “ humain ” serait donc tout sauf réaliste. La période des “ Trente Glorieuses ” reste dans les mémoires comme celle où les prétentions du patronat avaient été limitées et encadrées, mais cette situation résultait avant tout d’un rapport de forces, construit à travers de grandes luttes de classe et des révolutions. Sans compter que pour en arriver là, il avait fallu en passer par les souffrances de la grande dépression des années 1930 et par les horreurs du fascisme et de la guerre.

La période des Trente glorieuses fut celle du « compromis fordien » ou du « traité de Détroit » (Krugman) : la « paix sociale » en échange de salaires qui augmente avec la productivité ainsi que d’avantages sociaux en matière de santé et de retraite. Mais il fallait pour cela « du grain à moudre » comme le disait André Bergeron à l’époque où il était premier secrétaire de la CGT-FO. Le « compromis fordien » ne résultait pas seulement du « rapport de force ». Il résultait aussi de l’intérêt bien compris des industriels, comme l’a exprimé Ford lui-même, ainsi que des grains de productivité très important réalisés pendant toute cette période.

En finir avec les crises implique d’en finir avec l’exploitation, donc avec la propriété privée des principaux moyens de production, d’échange et de communication, qui en constitue la base. Le système financier, les services essentiels à la vie, les grandes entreprises devront passer sous le contrôle des salariés et de la population, qui en assumeront la propriété et en assureront la gestion dans le cadre d’une planification démocratique. Libérées de la propriété et de l’appropriation capitalistes, la production et la répartition des richesses pourront bénéficier à la société tout entière. Se nourrir, se chauffer, se loger, se soigner, s’éduquer, se cultiver, se déplacer sont des besoins essentiels qui doivent être garantis pour toutes et tous.

Le passage ci-dessus n’est pas très clair. La propriété privée disparaît et la propriété est « assumée » par la population et les salariés. Mais comment les salariés et la population en tant que telle peuvent-ils être propriétaires ? Parle-t-on de coopératives ou de propriété étatique ? De même, la notion de « planification démocratique » n’est pas claire. Comment organiser cette planification dans une société industrielle et dans des pays comme la France de plusieurs dizaines de millions d’habitants. On peut planifier sans trop de difficulté la production d’un GAEC en agriculture biologique produisant pour un marché de vente directe. Mais comment planifier l’ensemble de la production industrielle à l’échelle d’un pays entier, sachant que les trotskystes rejettent par ailleurs la « planification bureaucratique » (non démocratique) telle qu’elle existait en URSS ? Par ailleurs, la propriété est une chose, la division du travail en est une autre. C’est toute l’ambiguïté de la notion marxiste de « position dans les rapports de production ». Si le « prolétariat » est défini comme l’ensemble de ceux qui ne possèdent pas les moyens de production et qui doivent mettre leur force de travail au service des propriétaires privées dont ils reçoivent un salaire en échange, la suppression de la propriété privée supprime du même coup ce que l’on a appelé prolétariat. Mais cette révolution juridique (remplacement de la propriété privée par un autre type de propriété) ne change pas en tant que telle la position des « travailleurs » dans les processus de production. A moins d’abolir aussi la division du travail, il reste des ouvriers dans les usines, des employés dans les bureaux, des enseignants dans les écoles, des chercheurs dans les laboratoires…

Le socialisme, l’écosocialisme, c’est le pouvoir des travailleurs et travailleuses dans tous les domaines et à tous les échelons de la vie politique, économique et sociale. C’est la démocratie des producteurs/trices associé-e-s décidant librement et souverainement quoi produire, comment et à quelles fins. Une telle réorganisation de l’économie et de la société suppose un premier niveau d’émancipation du travail, indispensable afin que les collectifs de travailleurs/euses et de citoyen-ne-s puissent prendre réellement en charge la marche des entreprises et la gestion des affaires publiques. Une réduction massive du temps de travail, rendue possible par les progrès technologiques, auxquels s’ajouteront la suppression du chômage et la répartition entre toutes et tous du travail nécessaire, pourvoira à ce besoin.

Même question : comment organise-t-on cette « démocratie des producteurs et productrices associés » ? L’idée d’une « gestion par les producteurs associés », présente déjà chez le jeune Marx, rattache celui-ci à Rousseau. Si Marx devait beaucoup à Saint-Simon, auquel le rattachait sa foi dans l’industrie et le progrès scientifique et technique, il devait aussi beaucoup à Rousseau, dont il héritait une conscience du malheur humain, que Rousseau associait à l’invention de la propriété (voir le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes). Après Marx, cette idée de « gestion par les producteurs associés » sera reprise par le mouvement anarcho-syndicaliste. Les marxistes, de leur côté, emploient volontiers ce langage anarcho-syndicaliste dans leur stratégie de conquête du pouvoir. C’était le cas de Lénine à l’époque de la lutte contre le gouvernement provisoire. Le slogan « tout le pouvoir aux soviets » est bon en juillet 1917 tant que les bolcheviks ne sont pas au pouvoir. Mais le pouvoir soviétique au sens strict (celui des conseils ouvriers autogestionnaires) tourne très vite à l’anarchie. Dès les premiers mois de la révolution russe, la bureaucratie du Parti doit se substituer aux soviets. En juillet 1918, les soviets sont épurés de tous les éléments non bolcheviks. En août, tous les partis, à l’exception du parti bolchevik, sont déclarés hors la loi. L’utopie soviétique au sens strict, celle de la « gestion par les producteurs associés », est morte. Elle est remplacée par une gestion bureaucratique par le parti unique. On peut juger que cette évolution était inévitable compte tenu de la nature du parti bolchevik, sorte de secte révolutionnaire peu disposée à admettre l’existence de contre-pouvoirs. Mais cette évolution s’impose également dans le contexte de l’époque pour des raisons d’efficacité. Une fois « expropriés les expropriateurs », la prise de contrôle par le parti et le renforcement de la bureaucratie apparaissent comme la seule solution permettant d’éviter l’anarchie. Certes, l’échec de l’expérience autogestionnaire soviétique ne signifie pas l’échec nécessaire de toute forme d’autogestion. Mais dès lors que l’autogestion n’est plus seulement un slogan utopique, elle suppose que soient définies par la loi des règles du jeu, qui définissent les droits et les devoirs des différents acteurs. Jusqu’où peut aller la redistribution des responsabilités ? Les vieux slogans du socialisme utopique ne suffisent évidemment pas à apporter une réponse concrète.

Sans avoir l’illusion qu’une société libérée de l’exploitation et de l’oppression peut éviter toute maladie, infirmité ou problème de santé, le droit à la santé pour lequel nous combattons consiste d’abord à prévenir les causes d’un mauvais état de santé liées à une société fondée sur la recherche du profit maximum : accidents de travail, stress dû au travail, expositions aux produits toxiques, à une alimentation de mauvaise qualité, à la pollution…

Qu’est-ce qu’une société libérée de l’exploitation et de l’oppression ? Ce qui précède laisse entendre qu’il s’agit d’une société « libérée » de la propriété privée, où la « planification » est organisée de façon « démocratique ». Admettons que cela soit possible et que l’on ait réussi à définir, autrement que de façon rhétorique, ce qu’est une « planification démocratique » dans un pays de dizaine de millions d’habitants, avec de très nombreuses branches industrielles qui supposent une division du travail et une expertise très poussées. Peut-on croire que cette « libération » suffise en tant que telle à prévenir les effets induits pervers des différents processus de production ? La technologie possède sa rationalité propre qui n’est réductible ni au régime de propriété des moyens de production, ni au mode d’organisation du travail. On a inventé les accidents de voiture en même temps que les voitures, les accidents d’avion en même temps que les avions, les intoxications par les médicaments en même temps que les médicaments (le φάρμακον grec désignait déjà le remède, la drogue aussi bien que le poison). Ces effets induits ne se confondent pas avec la finalité industrielle (la voiture a pour finalité de produire du déplacement, pas des accidents) et il convient de les limiter autant qu’il est possible. Mais une telle limitation ne résultera pas magiquement d’un changement du régime de propriété.

Comme les autres productions humaines, les productions culturelles et artistiques ne sont pas autonomes. Elles sont traversées de tensions idéologiques et politiques. Une critique radicale du système capitaliste, sérieuse et cohérente, ne peut se faire sans critique radicale de la culture, de l’art et des médias puisqu’ils sont les verrous de l’idéologie dominante et, par conséquent, un obstacle important à l’émancipation de toutes et tous. La société libérée du capitalisme garantira l’accès de tous les individus à ces productions et mettra fin à leur marchandisation. La réappropriation démocratique de la culture, de l’art, des médias est un enjeu de premier ordre.

Le thème de la manipulation par les médias au service de l’idéologie dominante n’est pas neuf. La question, du reste, est parfaitement légitime. Une réflexion sur les conditions d’indépendance des médias – le « quatrième pouvoir » – est incontournable dans le cadre de toute réflexion sur la démocratie. Tocqueville ne s’y trompait pas qui, dès le premier volume de La démocratie en Amérique, incluait un chapitre sur la liberté de la presse (voir aussi la réflexion de Walter Lippmann sur le « public fantôme », rééditée et présentée par Bruno Latour). Mais on ne voit pas en quoi « la société libérée du capitalisme » garantirait automatiquement « l’accès de tous les individus » aux productions de l’art, de la culture et des médias. Ici comme ailleurs, le slogan tient lieu de réflexion. Or cette question de la manipulation pose la question des catégories dirigeantes qui est omniprésente dans ces principes fondateurs du NPA. Le NPA veut renforcer et développer la démocratie. Soit. C’est là un but honorable. Mais encore faut-il éviter la naïveté. On ne peut pas se contenter de répéter après Lincoln que « la démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple ». Dans des pays de plusieurs dizaines de millions d’habitants, jamais le peuple ne gouverne en tant que tel. Les sociologues italiens du début du XXe siècle, Robert Michels, Gaetano Mosca et Vilfredo Pareto ont soutenu chacun à leur manière que les régimes représentatifs nés des révolutions démocratiques ne différaient pas tant que cela des Anciens régimes qu’ils remplaçaient. Dans tous les cas, le pouvoir réel est exercé par une minorité. Telle est « la loi d’airain de l’oligarchie » (Michels). Pire, disaient ces sociologues, les gouvernants des démocraties parlementaires qui manipulent la masses par la ruse ou l’éloquence sont eux-mêmes manipulés par ceux qui possèdent les moyens de la puissance, magnats de l’industrie et de la finance. La thèse prolongeait à sa manière celle de Marx pour qui l’Etat est au service des propriétaires des moyens de production. Mais là où Marx pensait que l’abolition de la propriété privée entraînerait la disparition des classes et le dépérissement de l’État, remplacé par une gestion par les « producteurs associés », Pareto était sans illusion sur l’issue d’une révolution socialiste. Conduite par une minorité, elle aboutirait nécessairement à la création d’une nouvelle classe dirigeante, qui meilleure ou pire que l’ancienne, plus brutale ou plus rusée, présenterait de toutes façons la même caractéristique : elle serait une oligarchie. Les révolutions socialistes du XXe siècle n’ont pas seulement confirmé ces vues de Pareto. Elles ont montré que les nouvelles classes dirigeantes étaient en général pires que celles qu’elles remplaçaient. Mais les principes du NPA récusent cette « loi d’airain ». Ils veulent croire à un vrai gouvernement « du peuple par le peuple » (les « producteurs associés »). On peut les comprendre tant la loi d’airain de l’oligarchie résonne de façon scandaleuse aux oreilles de tout démocrate. La démocratie ne serait-elle qu’une illusion ? Un mythe ? Il faut toutefois dépasser l’impression de sacrilège pour comprendre que seul l’énoncé de cette « loi d’airain » permet d’analyser le fait démocratique et, ce faisant, améliorer la démocratie. Toute société, dès lors qu’elle dépasse une certaine taille, suppose une division des responsabilités (plutôt qu’une « division du travail »). Il n’y a rien de scandaleux en soi dans le fait qu’une « oligarchie » exerce les responsabilités proprement politiques. La moindre enquête empirique montre d’ailleurs que la prétendue « oligarchie » n’est pas une, qu’il n’y a pas une classe dirigeante mais des catégories dirigeantes. La vraie question démocratique ne porte donc pas sur l’existence d’une « oligarchie » mais plutôt sur les relations entre ceux auxquels sont délégués les responsabilités politiques et les autres, sur les limites de compétence, sur l’existence de contre-pouvoirs, sur les possibilités de contrôle, sur le mode de recrutement du personnel politique, sur l’état de droit et l’absence d’arbitraire, sur la maîtrise par le personnel politique de ses appétits et de ses pulsions (de quel droit peut-on prétendre gouverner les autres quand on n’est pas capable de se gouverner soi-même)… Autant de questions auxquelles les principes du NPA, qui se contentent sur le sujet de quelques clichés hérités des socialismes utopiques du XIXe siècle, n’apportent pas la moindre réponse nouvelle.

Le socialisme n’a évidemment rien à voir avec les politiques capitalistes des formations social-libérales telles que, en France, le parti dit “ socialiste ”. De même, il s’oppose radicalement aux dictatures bureaucratiques qui, de l’ex-URSS à la Chine, en ont usurpé le nom, alors même qu’elles reproduisaient des mécanismes d’exploitation et d’oppression qu’elles prétendaient combattre et favorisaient les pires travers productivistes. Nous voulons avancer vers l’auto-organisation et l’autogestion démocratiques de la société, et cela implique les plus larges libertés d’organisation et d’expression politiques, syndicales et associatives. Les libertés démocratiques qui ont pu être conquises sous le régime capitaliste seront consolidées et développées. Le socialisme, c’est bien le règne de la démocratie la plus réelle et la plus étendue.

Outre l’idée de l’autogestion démocratique, que nous avons déjà discutée plus haut, on retrouve ici la thèse classique de la dégénérescence bureaucratique de la révolution soviétique, formulée par Trotsky dès les années 1920. En conséquence, le NPA rejette aussi bien le capitalisme, que l’URSS et la Chine. L’URSS et la Chine ont usurpé le « socialisme ». On peut noter que les trotskystes attribuent généralement cette dégénérescence à Staline et se délivrent au passage une auréole de martyrs : les trotskystes auraient figuré parmi les premiers déportés du Goulag. Il n’est pas exagéré de parler de lecture révisionniste de l’histoire. S’il y eut effectivement des trotskystes parmi les déportés dans les camps, il ne faut pas oublier qu’avant d’entrer en conflit avec Staline, Trotsky fut le théoricien et l’un des artisans de la terreur rouge décrite dès les années 1920 par le socialiste Sergueï Melgounov (un socialiste « petit bourgeois », très probablement, aux yeux des trotskystes). Exilé au Mexique, Trotsky justifiait encore l’écrasement de la révolte de Kronstadt de mars 1921, écrasement suivi d’une répression qui mettait pourtant un terme aux espoirs de « gestion par les producteurs associés », que la mise sous tutelle des soviets, en juillet 1918, n’avait pas encore tout à fait éteints chez les ouvriers russes. La « dégénérescence bureaucratique » de la révolution ne commence pas avec Staline. Elle est en marche dès 1918, comme on l’a vu plus haut. Mais le NPA reste fidèle à la thèse trotskyste d’une révolution légitime trahie par Staline. Trois éléments expliqueraient cette trahison : le retard historique de la Russie, le développement de la bureaucratie du parti en raison de ce retard et de l’isolement de l’URSS, l’échec de la révolution en Allemagne conduisant au « socialisme dans un seul pays ». Rien de neuf donc dans la condamnation par le NPA des « dictatures bureaucratiques » d’URSS et de Chine.

Après « le socialisme, ce sont les soviets plus l’électricité » (Lénine), le NPA nous affirme que « le socialisme, c’est le règne de la démocratie la plus réelle et la plus étendue ». Mais tout cela reste incantatoire tant que l’on n’a pas précisé comment s’effectue la consolidation et le développement des libertés démocratiques. Tout cela est surtout en totale contradiction avec les écrits comme avec l’action de Trotsky.

Pas plus qu’il n’y a de bon capitalisme productif, il ne peut y avoir de bon “ capitalisme vert ”. Parce qu’elle seule rendra possible des choix économiques démocratiques et rationnels, pris dans l’intérêt du plus grand nombre, la rupture avec le capitalisme est une condition nécessaire afin de stopper la crise écologique dont les effets catastrophiques commencent à se multiplier. Dans le cadre d’une nouvelle organisation de la société, dont la finalité sera l’utilité sociale et non plus le profit, les producteurs et les citoyens, autonomes et responsables, décideront de développer les activités économiques qui bénéficient à la collectivité, et écarteront celles qui mettent en danger les populations et leur environnement. Le socialisme que nous voulons ne propose nullement un développement illimité de la production, mais se fonde au contraire sur la satisfaction écologique des besoins sociaux : c’est un écosocialisme. Seule une société délivrée de la dictature du capital sera en mesure de réconcilier l’être humain et la nature.

Dans le cadre de quelles instances ou institutions se prendront ces décisions ? Qui décidera de ce qu’est « l’utilité sociale » et comment en décidera-t-on ? Qui décidera de ce qui bénéficie à la collectivité et comment en décidera-t-on ? Quelles seront les instances chargées de mettre un terme aux controverses sur les dangers des différentes technologies pour la population et leur environnement ? Qui définira ce qu’est la « satisfaction écologique des besoins sociaux » ? Comment se prendra la décision sur ce sujet ? La dernière phrase sur la fin de la « dictature du capital » est purement rhétorique. Elle n’apporte bien évidemment aucune réponse aux questions qui précèdent.
On trouve ici un vague écho des thèses d’Herbert Marcuse, recyclées par l’écologisme. Le capitalisme a jusqu’ici échappé à ses propres contradictions en assurant au prolétariat un niveau de vie en constante élévation. L’attrait du bien-être matériel dans le cadre de la « société de consommation » a remplacé la volonté révolutionnaire. Mais cette course au bien-être conduit tout droit à la catastrophe écologique. La critique culturelle se substitue ou s’ajoute donc à la critique économico-sociale. La contradiction qui condamne le capitalisme n’est pas seulement celle des moyens de production et des rapports de production, elle est aussi celle de l’homme et de la nature. Nous ne sommes pas loin de Rousseau, mais rien n’est dit de la façon dont l’homme connaît cette « nature » (alors qu’on sait que la catégorie de « nature » est loin d’être universelle : les Indiens des plaines, par exemple, n’étaient pas plus proches de la nature ; la réalité c’est que la question de la « nature » — héritée de celle de la φύσις des Grecs — ne se posait pas pour eux).

Nous voulons construire un système d’organisation collective qui favorise et encourage l’épanouissement individuel de toutes les personnes, “ une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ” (Le Manifeste communiste de Marx et Engels de 1848), où l’être humain soit considéré comme une fin et non plus un moyen. Le système capitaliste s’appuie sur un ensemble de normes de domination et sur la hiérarchisation des populations ; les minorités sont ainsi confrontées aux pressions morales, à la stigmatisation, au rejet ainsi qu’aux violences verbales, morales et physiques lorsqu’elles refusent d’obéir à ces normes et de se conformer à l’ordre établi. Le socialisme implique la fin de toutes les oppressions, de tout racisme et de toute discrimination ; le respect des cultures, des langues, des orientations sexuelles, des opinions philosophiques, religieuses, de la laïcité des administrations et pouvoirs publics.

La citation du Manifeste communiste est peut-être belle, mais elle ne dit pas grand chose sur les conditions d’une telle association. Il existe assurément des relations de domination et des relations hiérarchiques dans les sociétés capitalistes, mais cela n’est pas le propre des sociétés capitalistes : la démocratie athénienne, l’Inde des castes, la Chine impériale, le monde féodal étaient hiérarchisés, sans être capitalistes. L’URSS et la Chine communiste étaient/sont également hiérarchisés. Certes, ces versions du socialisme sont dénoncées par les trotskystes. Se pose toutefois la question du parti. Je remarque que le NPA ne parle pas du respect des opinions politiques. Je ne veux pas faire de mauvais procès. Il est possible que le respect des opinions politiques soit inclus ici dans le respect des opinions philosophiques. Mais l’expérience du XXe siècle montre que le pouvoir d’un parti unique est difficilement compatible (c’est un euphémisme) avec le respect de la diversité des opinions quelles qu’elles soient. Or accepter le pluripartisme, c’est accepter aussi l’existence de partis qui défendent la propriété privée. C’est accepter que ces partis puissent être majoritaires. Comment alors concilier pluripartisme et abolition de la propriété privée (que le NPA entend réaliser par une expropriation sans indemnités des « grands groupes capitalistes ») ?

En particulier, il implique la fin de l’oppression spécifique des femmes, antérieure au capitalisme mais que ce dernier a intégrée et instrumentalisée à ses propres fins. On retrouve cette oppression dans toutes les sphères de la société et elle traverse toutes les classes sociales, sous des formes diversifiées. L’oppression des femmes s’imbrique aux autres types de domination : l’exploitation de classe, le racisme, ou la violence contre les individus qui ne correspondent pas aux normes hétérosexistes. Aucun être humain ne sera libre si la moitié de l’humanité reste dans une position subordonnée, victime de la division sexuée du travail, des discriminations dans l’entreprise ou dans la vie politique, de la double journée de travail, de la famille patriarcale, des violences dans le cadre domestique, au travail, dans la rue, etc. La lutte des femmes contre leur oppression est un aspect essentiel de la lutte contre la domination capitaliste. Il n’y aura pas de socialisme sans libération complète des femmes. Et la libération des femmes, notamment des milieux populaires, nécessite la fin du règne de la loi du profit et l’existence d’une nouvelle société fondée sur la satisfaction des besoins sociaux.

Cette idée d’une oppression des femmes, « antérieure au capitalisme », mais « instrumentalisée » par ce dernier demanderait de longs commentaires. Mais je ne suis pas le plus qualifié sur ce sujet. S’il semble acquis que la différence des sexes se double très souvent d’une « valence différentielle des sexes » (Françoise Héritier), on ne peut souscrire sans plus d’examen à la thèse d’une « domination masculine » universelle qui fait des hommes et des femmes deux « classes de sexe » opposées. « Les » hommes et « les » femmes ne sont pas des catégories universelles. Il existe plutôt des statuts masculins et féminins, qui s’attachent à d’autres statuts pour construire des séries d’oppositions (père/mère, frère/soeur, oncle/tante, époux/épouse…) de façon très variables selon les sociétés. La notion d’« imbrication » utilisée par le NPA est équivoque. Veut-on dire qu’il existe différentes espèces de domination qui s’entrecroisent et dans certains cas se cumulent ? Auquel cas les femmes de la classe dominante restent dominées comme femmes, mais le sont moins que les femmes des classes dominées qui sont dominées à la fois comme femmes et comme « prolétaires ». Ou veut-on dire que les dominations finissent par se fondre en une seule domination sous l’empire de la « loi du profit » ? On voit mal de toutes façons comment une modification du statut juridique de la propriété (remplacement d’une propriété privée par une propriété collective, de type coopératif ou étatique) suffirait à modifier les relations entre les hommes et les femmes.

* * *

Le socialisme est né au XIXe siècle d’une révolte morale contre les conditions faites aux ouvriers dans le bruit et la fureur de la révolution industrielle. Cette révolte s’accompagnait de l’aspiration à une autre société, à une humanité meilleure. Les motifs de révolte n’ont pas disparu aujourd’hui et il est tout à fait légitime d’aspirer à plus de démocratie. On sait depuis Tocqueville que la démocratie, ce ne sont pas seulement des institutions (la division des pouvoirs de Montesquieu). La démocratie suppose également une certaine égalisation des conditions. Quant une part croissante de la richesse nationale est accaparée par une toute petite minorité, comme ce fut le cas aux États-Unis depuis le début des années 1980, en raison des choix politiques du movement conservatism1, il n’y a pas seulement danger pour l’économie, il y a aussi danger pour la démocratie. Une trop grande concentration des revenus entre quelques mains corrompt la politique. Mais les vieux slogans ne peuvent tenir lieu ni d’analyse, ni de programme. Si l’on en juge par ses principes, le NPA n’apporte pas grand chose de nouveau. A leur lecture, c’est le sentiment de déjà vu qui domine. Quarante ans plus tard, il n’y finalement pas grand chose à ajouter, en dehors d’une mise à jour des données empiriques, à l’analyse que faisait Aron des thèses de ce qu’il appelait alors la Nouvelle Gauche2. Cela aussi contribue au sentiment de déjà vu.

  1. une tendance sensible en France également depuis le début des années 2000, si l’on en croit les travaux de Camille Landais []
  2. Raymond Aron, « Catégories dirigeantes ou classe dirigeante » (1965) ainsi que « Liberté, libérale ou libertaire ? » (1969) in Les sociétés modernes, recueil dirigé par Serge Paugam aux Presses Universitaires de France []
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2 réponses à Le socialisme du 21e siècle ?

  1. le passant dit :

    Je suis évidemment d’accord sur ta critique de l’idée sous-jacente à l’option « anticapitaliste » d’une société réconciliée avec elle-même, qui fait du système économique la cause de la divergence sociale alors qu’il n’en est qu’une forme historique.
    Ceci dit, je trouve certains arguments de ton analyse un peu rapide.

    1°) Sur l’idée de l’opposition d’une classe dominante et d’une classe dominée. On ne peut pas reprocher à un mouvement politique d’essayer de fédérer des mécontentements. Il n’y a pas de classe en soi ni d’intérêt en soi. On peut objectiver des catégories CSP mais ça n’en fait pas des classes au sens politique. Le NPA n’a pas vocation sociologique, il a vocation à convaincre les salariés qui gagnent 4 ou 5 fois le smic qu’ils ont les mêmes intérêts que ceux qui gagnent le smic ou moins. Je trouve de plus qu’il y a un peu d’entourloupe à s’appuyer sur une citation de 1898 pour prouver qu’il n’y a pas appauvrissement d’une partie de la bourgeoisie -je ne dis pas que ce n’est pas vrai mais il faudrait s’appuyer sur des chiffre actuels.

    2°) Pour rester sur les chiffres, certes, les dividendes n’ont pas de rapport direct avec la masse salariale. Certes , il faudrait avoir plus de précision sur « de quelle masse salariale il s’agit ». Mais il ne faut pas oublier qu’entre les recettes d’exploitation qui est la part de profit directement lié à la production et obtenu lorqu’on enlève à la valeur ajoutée , la part des salaires et la tva , et le résultat net (à partir duquel on reverse les dividendes), il y a dans certaines entreprises des recettes financières qui échappent à la répartition primaire de la valeur ajoutée, et dont ne bénéficient donc pas les salaires mais qui par contre bénéficient aux actionnaires.

    3°) Sur l’autogestion. Je suis d’accord avec toi sur le fait que la division des responsabiltés est inhérente au fonctionnement social. Cependant la forme que prend cette division n’est pas elle gravée dans le marbre. Par exemple (pour prendre le domaine de l’enseignement primaire) , vouloir passer d’un enseignant chargé de direction à un chef d’établissement qui ne sera plus enseignant n’est pas anodin et changera forcément la forme que prendra l’exercice de la direction. On peut aller vers des spécialistes de la décision ou tenter le plus possible (même si je ne le nie pas il faudra quand même des responsables de métier) d’attribuer à l’intérieur de chaque champ de compétence, une part de compétences décisionnaires.

    4°) Sur les effets induits de la technique. Bien sûr que toute technique produit ses propres accidents comme tout concept produit de l’ambigüité, toute relation du conflit et tout choix de la frustration.
    Mais toute technique est également un choix technique. Si la fission nucléaire entraine nécessairement la radioactivité et que le choix de l’énergie nucléaire a comme effet induit la possiblité d’une fuite radioactive, on n’est pas obligé de choisir l’énergie nucléaire. Le fait d’avoir des décisionnaires très sensibles aux arguments économiques et au lobbying industriel n’est plus un effet de la technique mais bien un effet de l’organisation de la décision. « Le scandale du sang contaminé » ou « l’affaire des hormones de croissances » ne sont pas seulement de simples effets pervers d’une technique mais des problèmes de légitimité de la décision ( ou plutôt d’absence de légitimité puisqu’il semble que justement le « tous les moyens sont bons pour que ça rapporte » soit un des ressorts de ce genre d’affaire).
    L’organisation du pouvoir a dans tous ces exemples a un impact et si les populations riveraines des centrales ou si les associations de malade avaient le droit au chapitre dans les décisions , on passerait d’un choix technique fait uniquement par des spécialistes de la décision à un choix négocié et proprement politique.

  2. Jean Michel dit :

    1°. « On ne peut pas reprocher à un mouvement politique d’essayer de fédérer des mécontentements. » Sans doute : Le Pen a fait la même chose (les « Français » contre « l’établissement »), Reagan aussi (les Américains-qui-travaillent-dur contre la Welfare-Queen-et-les-fraudeurs-de-l’aide-sociale), Sarkozy aussi (la « France d’après » contre « les héritiers de 68 », etc.), les anti-Sarkozy aussi (tout sauf Sarkozy…), etc. Mais le principe rencontre vite ses limites et toutes les fédérations ne se valent pas. Il ne suffit pas de lutter « contre » en laissant croire que la disparition de l’autre résoudra tous les problèmes (ah, un monde sans propriétaires ! une France sans étrangers !). Le NPA ne se contente pas de fédérer différentes catégories de salariés : il continue de croire (ou en tous cas laisse croire) à la possibilité d’une société sans classes. Ça n’apporte rien. Plutôt que de s’interroger sur la façon de réguler les conflits inévitables, on prétend les supprimer une bonne fois pour toute. On pouvait peut-être le croire en 1848. Il me paraît assez irresponsable de continuer à le laisser croire en 2009. Quant à la citation de Bernstein elle ne visait pas à prouver quoi que ce soit pour aujourd’hui, mais plutôt à montrer que la thèse de Marx avait été critiquée très tôt à l’intérieur même de la pensée socialiste. Mais il faut quand même rappeler en quoi consistait cette thèse marxiste (citations du Manifeste communiste) :

    « Les couches moyennes, petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, toutes ces classes sombrent dans le prolétariat »,

    « Jusqu’à nos jours, toute société reposait, comme nous l’avons vu, sur l’opposition des classes opprimantes et des classes opprimées. Mais pour pouvoir opprimer une classe, il faut lui garantir des conditions telles qu’elle puisse au moins vivre de son existence servile. C’est dans le servage même que le serf a réussi à s’élever au rang de membre de la commune, de même que le roturier est devenu bourgeois sous le joug de l’absolutisme féodal. En revanche, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, l’ouvrier moderne descend toujours plus bas, au-dessous même des conditions de sa propre classe. L’ouvrier devient un pauper, et le paupérisme se développe plus vite encore que la population et la richesse. »

    On approche alors de « l’heure décisive » (Marx, op. cit.). La révolution qui abolira les classes est imminente. Marx et les premiers marxistes ont vécu dans l’attente de cette « heure décisive », comme les premiers chrétiens vivaient dans l’attente du retour du Messie. Mais la première génération de chrétiens est morte sans avoir connu ce retour, comme la première génération de marxistes est morte sans avoir connu l’heure décisive. Du côté chrétien, cela a donné lieu à toute la réflexion théologique de l’Antiquité tardive d’où est né finalement l’Occident chrétien. Il a fallu s’installer dans l’attente et penser le Royaume comme une conversion. Du côté marxiste, il a fallu constater que la société se diversifiait, le prolétariat des sociétés industrielles est devenu salariat et le sort des ouvriers s’est globalement amélioré. Les espoirs messianiques — espoirs qui sont toujours des espoirs de dégradation : il y a, chez les marxistes, une certaine jubilation devant la crise ; plus la situation est grave, plus ils se croient proches de l’heure décisive — les espoirs messianiques donc ont été soit reportés ailleurs (le tiers-monde), soit différés (« bien sûr, la paupérisation n’a pas encore eu lieu, mais attendez, ça va venir », discours qui revient à chaque crise). Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de fluctuations dans le partage du revenu national des sociétés occidentales (y compris entre fractions de la « bourgeoisie »). Ces fluctuations existent. Le partage aux USA au bénéfice des très riches est une des causes de la crise actuelle. Il faut en discuter. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose que de parler de paupérisation absolue en laissant croire à « l’heure décisive ».

    2° – Il n’en reste pas moins que donnés ainsi sans la moindre précision, les chiffres du NPA ne veulent rien dire. C’est un peu comme quand Sarkozy nous parle des grutiers de Barcelone qui travaillent 4000 heures par an.

    3° – Quelle part de compétence décisionnaire pour qui ? La question est bien celle-là et c’est justement ce sur quoi le NPA ne dit rien. « Une réduction massive du temps de travail, rendue possible par les progrès technologiques, auxquels s’ajouteront la suppression du chômage et la répartition entre toutes et tous du travail nécessaire, pourvoira à ce besoin. » C’est sûr. Si la lune était moins loin elle serait plus près ! Mais on fait comment pour la rapprocher ?

    4° – Je suis bien d’accord. Il y a une organisation socio-technique. Les choix techniques sont aussi des choix politiques. Mais là non plus le NPA ne dit rien, sinon dénoncer la recherche du « profit maximum ». Or elle n’est pas seule en cause. En réalité, la recherche du profit peut aussi inciter à réduire les accidents (qui ont un coût). Penser la technologie, la santé, la ville, la connaissance, etc. comme des biens communs, suppose un autre niveau de réflexion qu’une simple dénonciation du profit ou de la propriété privée. Mais je n’en vois pas de trace au NPA.

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