Je parlais dans mon précédent billet du succès et de l’abus de la notion de construction sociale, en faisant remarquer que Ian Hacking, dès 1999, la jugeait obscure et galvaudée. Je m’étais souvenu de ces remarques du philosophe canadien en découvrant sur Twitter, il y a deux ans, une polémique au sujet de déclarations de Laure Murat et Michelle Perrot sur France Culture à propos de la galanterie à la française. Comme cette polémique me semble être un exemple typique des us et abus de la notion, ainsi que de son obscurité, je la ressors de mes archives en complément du précédent billet.
Le tweet de départ était celui-ci :
On entend souvent parler de "galanterie à la française"… mais c'est quoi au juste ? Une pure construction sociale, selon les historiennes Laure Murat et Michelle Perrot, qui sont bien décidées à briser le mythe du "gentleman". #JourneeDeLaFemme pic.twitter.com/JxDFmH4a7U
— France Culture (@franceculture) March 8, 2019
La question de la galanterie en elle-même ne m’intéresse pas ici. J’observe seulement que les deux historiennes avaient raison de parler à son sujet de construction sociale. Comme la mode, comme les règles de politesse, et, pour aller vite, comme la totalité des usages sociaux, les usages en matière de galanterie sont des usages institués, qui sont variables selon les époques, les lieux et les milieux sociaux, dont on peut donc faire l’histoire, la géographie et l’ethnographie. Je dis bien aussi la géographie, car comme il existe des cartes des usages linguistiques, avec des isoglosses, on pourrait très bien imaginer des cartes de la galanterie avec des lignes imaginaires séparant des usages galants particuliers (en 2016, le journal Ouest-France avait proposé une carte de France du nombre de bises selon les départements ; je ne sais pas ce que ça vaut, mais pourquoi pas).
Les deux historiennes avant sans doute raison aussi de dire que cette notion de galanterie peut venir faire écran, cacher des relations de domination, voire des forfaits. Mais encore un fois, ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Ce qui m’intéresse, c’est seulement ce qui est dit et compris quand on dit, d’une façon maintenant banale, qui déborde largement l’usage des spécialistes – dans des tweets par exemple – , que quelque chose est une construction sociale, voire, comme le disait France Culture au sujet de la galanterie, « une pure construction sociale » (je souligne). Car il me semble que l’expression, apparue d’abord dans l’usage scientifique des sociologues – le tout premier livre qui avait « construction sociale » dans son titre, comme le relevait aussi Hacking, semble avoir été celui de Peter Berger et Thomas Luckmann, The Social Construction of Reality: A Treatise in the Sociology of Knowledge (1966) – , est tombée maintenant dans l’usage commun (qui est parfois aussi celui des sociologues – ou des historiennes). Continuer la lecture