J’ai montré ailleurs, en français et en anglais, comment Jakob von Uexküll, dans sa tentative, inspirée entre autres par sa lecture d’Emmanuel Kant, de reconstituer les mondes (Umwelten) animaux tendait au cognocentrisme dans le cadre d’une « théorie de la signification » (Bedeutungslehre). Cette tendance cognocentrique, écrivais-je aussi, a encore été accrue chez ceux de ses héritiers (dont son propre fils, Thure von Uexküll) qui se sont attachés à développer une « biosémiotique ». Et je tentais de montrer qu’il y a pourtant chez von Uexküll des observations qui invitent à sortir de ce cognocentrisme (ou « sémiocentrisme ») pour développer une conception plus complète de la complexité de ces mondes animaux. Tout n’est pas affaire de sémiotique. Seul notre logocentrisme, hérité des Grecs, qui se prolonge en cognocentrisme, amène à le croire. Mais il y a là un obstacle épistémologique, au sens exact que Bachelard donnait à cette expression, qu’il convient de dépasser. Je m’appuyais pour cela sur ce que Jean Gagnepain a appelé les « plans » de la médiation, dont la distinction et l’autonomie est attestée par une approche clinique. Ils invitent à rechercher chez les autres espèces animales les équivalents de ce que l’on peut distinguer chez l’humain: une gnosie bien sûr, mais aussi une praxie, une somasie et une boulie1. Je renvoie à mes deux articles donnés en lien ci-dessus pour plus d’explications sur ces distinctions (sur la question de la somasie, voir aussi cet article ou indirectement cette note de lecture, et sur celle de la gnosie notre article sur anthropologie clinique et langage animal). Continuer la lecture
- Je partage l’idée que cohabiter autrement avec les autres espèces suppose de s’appuyer sur ce que nous avons en commun avec elles. Mais ce que nous avons en commun n’est pas seulement de l’ordre du sêma – étymologie de toutes les « sémiologies » et autres « sémiotiques » – , il est aussi de l’ordre de l’action (praxis), de l’ordre du corps (soma) et de ses relations à un milieu, de l’ordre du vouloir (boulê), trois dimensions irréductibles à la première. [↩]